Algérie : lorsque la misère rurale est exploitée à des fins électoralistes

Algérie : lorsque la misère rurale est exploitée à des fins électoralistes

Circuler dans la ville de Birtouta par cette journée, un peu trop ensoleillée pour un mois de novembre, nous met devant un véritable paradoxe. En effet, il est très étonnant de voir qu’un ancien petit village colonial se transforme pendant quelques années seulement en une ville au semblant cachet moderne. Ainsi, de nombreuses cités sont en train de s’ériger aux alentours de cette commune de la Mitidja située à plus de 30 KM de la capitale.


Au fin fond d’une campagne électorale

L’ancien village réputé pour son bâti colonial connaît aujourd’hui des chantiers de construction qui s’éternisent, un commerce informel de plus en plus prépondérant et surtout un aspect rural qui demeure incontournable par les 10 haouchs qui ceinturent la commune.

Cette ruralité qui colle toujours à l’image de Birtouta est visiblement une donnée importante dans la campagne électorale pour les élections locales. Et pour cause, l’atmosphère dans la commune est on ne peut plus électrique selon les dires des nombreux citoyens que nous avons rencontré sur place.

Climat électoral tendu

« Chaque jour, des défilés parcourent la ville de fond en comble. Les candidats affûtent tous leurs armes. Aujourd’hui, ils nous promettent monts et merveilles. Mais demain, après leur élection, ils adopteront leur discours habituel : nous n’avons aucun pouvoir, nous sommes le dernier échelon de l’administration, etc. En tout cas, cette fois-ci, la rivalité entre les partis dépasse de loin les simples discours. On y assiste souvent à des altercations entre les partisans de tout bord. Je me demande ce qu’ils nous réservent le jeudi prochain », relève ammi Ahmed qui croit dur comme fer que cette violence latente ne présage rien de bon pour le jour J.

Il faut dire à cet effet qu’à Birtouta les frustrations s’expriment aisément depuis quelques temps. « Nous n’avons ni une banque, ni une poste digne de ce nom ni d’infrastructures publiques à l’image d’une daïra comme la notre. Regardez seulement l’état de nos routes. Elles sont toutes dévastées par les multiples travaux publics dont on ne connaît même pas l’utilité ! Construire et reconstruire des trottoirs, c’est tout ce qu’elle fait notre mairie. Nous voulons le changement à la tête de notre commune, mais on ne voit pas sincèrement qui peut l’incarner », nous confie Mahmoud, 35 ans, natif de Birtouta.

« La ville se porte bien. Allez faire un tour dans les haouchs de la région. Vous ne vous croirez jamais en 2007. Les gens vivent toujours dans une misère atroce », s’écrie de son côté Nacer Belgacem, président de comité du quartier à haouch Fliou, l’un des bourgs ruraux de la commune.

Il faut savoir qu’avec Haouch Erroussi, Haouch Filiou, Haouch el gazouz, Haouch essaboune, Haouch el Hadj ou encore Haouch Ratel, la localité de Birtouta présente tout un panorama sur les déficiences d’une gestion publique qui exclut de facto toute une frange de la population.

« En fait, nous les habitants de ces haouchs, nous sommes toujours privés de nos droits de citoyens. Croyez-moi à chaque fois que nous n’adressons à la mairie pour quelques doléances, c’est toujours le même discours qui nous est réservé : vous feriez mieux de rentre chez vous au bled. A mon avis, ces responsables oublient facilement que nous sommes dans cette commune depuis plus de 30 ans. Mais malgré cela, nous sommes à leurs yeux que des citoyens de seconde zone », explique notre interlocuteur.

Des pratiques douteuses

Pour comprendre beaucoup mieux cette déclaration, nous avons suivi notre guide dans une escapade qui nous a conduit de haouch en haouch explorant une autre réalité. Le pire, c’est que toute cette misère est exploitée par les partis politiques à des fins électoralistes.

Haouch Filiou est ainsi notre première escale dans ce voyage au bout de la détresse. « Ici, vous avez plus de 40 familles qui vivent sans routes praticables, sans un réseau d’assainissement adéquat, sans gaz naturel et sans transport pour leurs enfants. Mais même lorsque tout manque, les élus locaux n’hésitent pas à en rajouter une couche », révèle Nacer. Ainsi, selon les indications de notre interlocuteur, depuis 3 mois, en vue de la prochaine élection locale, la mairie a fermé les yeux sur des acquisitions illicites par une vingtaine de famille, étrangères au patelin, de certains lots terrains qui appartiennent à une EAC. « Nous ne sommes plaints à la mairie pour attirer leur attention sur ces détournements de foncier, mais on nous a jamais tendu l’oreille. Pourquoi ont-ils fermé les yeux ? Et ben, nous avons trouvé récemment notre réponse : ces familles squatteuses affichent d’ores et déjà leur choix politique. Elles voteront toutes pour l’équipe sortante. Etrange coïncidence, n’est-ce pas ? », Se demande le président du quartier de haouch Fliou.

Sur ce sujet, il serait certainement utile de relever que ce genre de pratique est monnaie courante dans la région et ce depuis le début de la compagne électorale. Nombreux, sont en vérité les sources qui nous font état d’opérations de corruption à large échelle. Dans ce contexte, se trouvant dans le collimateur des candidats, les « haouchas » font l’objet d’une campagne électorale pour le moins qu’on puisse dire bien « malpropre ». « Des candidats m’ont sollicité dans la rue pour me proposer des lots de terrains, me promettre un traitement particulier une fois élus. C’est vraiment indigne. D’autres sont allés loin en miroitant à des haouchas une régularisation rapide de leur situation. D’autres ont, aussi, à peine achevé leurs baraques dans plusieurs fermes et ils ont déjà leur carte de résidence ainsi que leur carte d’électeur. Sérieusement, je crains fort que ce scrutin soit truqué d’avance », affirme Abdelkhader qui fait compagne pour le PT.


Le microcosme de la détresse

En pénétrant à Haouch Ratel, un spectacle désolant et triste s’offre à nos yeux. Les conditions de vie de ces 115 familles sont à la limite de l’inhumain. Ici tous les efforts consentis, depuis des années pour éradiquer l’habitat précaire et les bidonvilles, ne sont guère parvenus à réduire le nombre de baraques qui enlaidissent le paysage et déshumanisent leurs habitants. Toutes les solutions de transition adoptées depuis des années font aujourd’hui que Haouch Ratel est en train de se transformer en un véritable microcosme de détresse. Quant aux formules engagées tels les projets de l’aide à l’autoconstruction et le RHP (résorption de l’habitat précaire), n’ont contribué en réalité qu’à créer, à court terme, de véritables plaies dans l’âme de cette population qui demeure plus que jamais étouffée par ses frustrations.

Des enfants atteints de typhoïde, des adultes asthmatiques, des enfants non scolarisés, un taux d’analphabétisme très élevé, etc., ici on ne compte, malheureusement, plus les tourments qui nous renvoie directement au moyen âge.

Dans les maisonnettes de toub qui parsèment le hoauch, les habitants nous montrent comment leurs lits côtoient les nattes de leurs ânes. Se réchauffant au feu du bois et se protégeant de la pluie sous le zinc de leurs gourbis, les habitants, d’après leurs aveux, n’ont rien à espérer de ces élections locales. Mais la réalité amère, nous rattrape rapidement. Des insultes fusent de partout et l’atmosphère dégénère. Notre présence dérange décidément les « notables » du haouch qui nous accuse de faire de la propagande pour le compte d’une formation politique. Accusation que nous récusons sur le champ bien sur. Mais le climat ne s’est pas détendu pour autant et nous décidons par la suite de déguerpir des lieux de la discorde. Plus tard, à Birtouta, nos sources nous apprendront que ces « notables » soutiennent ouvertement le RND dont relève, notons le au passage, le maire sortant. C’est dire enfin de quoi on est capable à faire pour se maintenir au pouvoir. Quant à la misère de ces pauvres gens, elle ne sert en dernier lieu que pour bourrer les urnes. Pour eux en tout cas, le cauchemar de leur vie risque bel et bien de perdurer encore…