À la conquête du Western Art

À la conquête du Western Art

Jusqu’au 7 janvier 2008, le musée des Beaux-Arts de Rouen propose une ruée vers le Western Art. Très en vogue aux USA, ce genre artistique plutôt kitsch est boudé en Europe.

L’exposition La Mythologie de l’Ouest dans l’art américain réunit une soixantaine d’œuvres, peintures, dessins et sculptures, d’artistes d’origine européenne. Héros indiens, paysages enchanteurs, scènes pittoresques mêlant moments historiques et récits imaginaires… Dès le XIXème siècle, le Grand Ouest fut une inépuisable source d’inspiration pour les artistes américains.

Dans les années 1830, des illustrateurs scientifiques accompagnaient les expéditions colonisatrices. Certains développèrent une vision plus romantique. George Catlin (1796-1872) offrit par exemple un regard original sur les Native Americans. Sa Galerie indienne fut présentée à Louis-Philippe en 1845. Touché, le roi commandera d’autres tableaux visibles aujourd’hui au musée du quai Branly. Entre observation ethnographique et conte populaire, le portrait du chef indien Mah-to-he-ha (Vieil Ours) fait forte impression. Un Jeu de balle indien, saisi vers 1846, dépeint une sorte de gigantesque partie de rugby primitif où bien des coups semblent permis.

Alfred Jacob Miller (1810-1874) suivra une expédition dans les Rocheuses en 1837. Il produit alors des images troublantes comme La Mèche de scalp. Vingt ans plus tard, avec Derniers de leur race, John Mix Stanley commente à sa façon l’ethnocide dont sont victimes les nations indiennes. Dans des paysages grandioses, avec des ciels tourmentés, les peintres couvrent leurs scènes d’un mysticisme tragique. Comme échappées d’un western, certaines images ont aussi parfois des couleurs surnaturelles d’un kitsch ravageur.

L’Ouest, ses paysages sublimes, ses bisons. Albert Bierstadt (1830-1902) peint des couchers de soleil sur des troupeaux qui déclineront également, exterminés. Les entreprises de chemin de fer utilisent de belles images naïves pour attirer les blancs dans l’Ouest. Les vues féeriques vantent également la beauté de Yellowstone (parc naturel créé en 1872) ou de la vallée de Yosemite. Cascades et geysers révèlent une nature envoûtante, le paradis indien, la terre promise. Une représentation qui tente de concilier spiritualité indienne et message biblique. Avec une profondeur de champ insondable, les tableaux donnent l’illusion d’une liberté sans limites.

Les mythiques cow-boys ne sont pas absents du panorama. Charles Marion Russel (1865-1926) nous décrit une rude chasse à l’ours nommée Lassos et chevaux agiles sont plus sûrs que le plomb. Peintre et sculpteur, Frederic Remington (1861-1909) réalise des bronzes vigoureux étonnants de vérité pour des rodéos où muscles humains et chevalins rivalisent sauvagement. Le même produira aussi des peintures plus fragiles comme Les Signaux de fumée. Sans rien enlever au caractère épique de la conquête de l’Ouest, certaines œuvres laissent transparaître des humeurs mélancoliques et inquiètes. Le travail de Remington a inspiré plusieurs cinéastes dont John Ford pour La Poursuite infernale.

Le Far West est une terre bénie pour les illustrateurs. Couvertures de magazines et affiches publicitaires peuvent s’abreuver sans fin à l’intensité dramatique qui émane de ces territoires sauvages, de la vie des autochtones, des mésaventures des conquérants. N.C. Wyeth (1882-1945) décrit les heurts et malheurs du cow-boy pas toujours triomphant comme ce cavalier désarçonné surpris dans un soleil vertigineux ou ce type qui se prend une balle en pleine tête au cours d’une bagarre au pistolet. Des images qui rappellent certaines planches de BD ou des plans de westerns célèbres.

Voyageurs solitaires, portraits majestueux de chefs vaincus (Faucon noir, Blackhawk, Tuck-Ee, Billy Bowlegs…), attaques de diligences, chercheurs d’or, rapts d’enfants, canyons somptueux, chasses au bison, Pony Express, postures indiennes (de l’Indien Blackfoot parlant la langue des signes aux chasseurs nus montant à cru)… nourrissent les artistes qui façonnent la mythologie de l’Ouest américain. La vie romanesque de William Frederic Cody, dit Buffalo Bill, n’est pas oubliée. L’ex-éclaireur qui, de 1882 à 1912, fit tourner son Wild West Show en Amérique et en Europe est évidemment immortalisé par des peintres. Quelques photos rappellent au passage la venue du show fascinant à Rouen en juin 1905.

Montée avec l’aide du French regional and american museum exchange (Frame) qui associe douze musées régionaux français et douze musées américains, l’exposition est bâtie sur un parti pris esthétique plutôt que sur des critères historiques ou ethnologiques. Elle montre comment l’art, témoin de l’exploration du nouveau monde, est devenu un élément fort de la construction du mythe américain.

En visitant des musées régionaux américains et des collections peu connues, Laurent Salomé, directeur des musées de Rouen et commissaire de l’exposition, a ouvert une piste inexplorée dans les musées français. Une curiosité qui devrait s’enflammer comme une traînée de poudre. Le Western Art affole les enchères aux USA et quelques musées européens (Rome, Francfort, Londres) ont pris la diligence en marche.

En fin d’exposition, une brève chronologie s’arrête à la naissance de l’American indian movement (AIM), en 1968. Une liaison qui permettrait peut-être d’imaginer une suite artistique décrivant le rêve américain du point de vue amérindien. L’un des fondateurs de l’AIM, Leonard Peltier, un Lakota-Anishinabe, est incarcéré aux Etats-Unis depuis 1976. Condamné à deux fois la perpétuité après un procès truqué, celui qu’on appelait le Nelson Mandela américain, est le plus ancien prisonnier politique au monde. Comme certains de ses compagnons d’infortune, Leonard Peltier est artiste peintre. Leurs œuvres imprégnées de la spiritualité et des souffrances des peuples natifs commencent à circuler. Une peinture de résistance où, répondant au tableau de John Mix Stanley peint en 1857, les activistes de l’AIM disent qu’ils n’entendent pas être les « Derniers de leur race ».

Exposition La Mythologie de l’Ouest dans l’art américain, jusqu’au 7 janvier 2008, au musée des Beaux-Arts de Rouen, esplanade Marcel-Duchamp (accès handicapés 26 bis rue Jean-Lecanuet). Ouverture de 10h à 18h, sauf mardi et jours fériés. Tél : 02 35 71 28 40.

Plein tarif : 6€. Tarif réduit : 4€. Gratuit pour les moins de 18 ans et les demandeurs d’emploi.

Catalogue La Mythologie de l’Ouest dans l’art américain (1830-1940), 240 pages couleurs, 28€.

Visites commentées les 18 novembre, les 2 et 9 décembre, le 6 janvier (à 16h). Visite en langue des signes le 24 novembre (à 15h).

Promenade contée les 26 décembre et 2 janvier (à 14h30 à 16h).

Conférences le 8 novembre, à 18h30 (Calamity Jane ou les légendes de l’Ouest), le 15 novembre, à 18h30 (L’Ouest ou la géographie de l’imaginaire), le 22 novembre, à 18h30 (La voix dans le désert – l’Ouest de la réalité à la spiritualité).

Cinéma-musées les 13 et 20 novembre, les 4 et 11 décembre (à 19h).

Informations sur les animations au 02 35 52 00 62 et publicmusee@rouen.fr

Programmation western (à 18h) : les 10 et 12 novembre (Rio Bravo, de Howards Hawks), les 24 et 27 novembre (Rivière sans retour, d’Otto Preminger), les 8 et 10 décembre (L’Homme des hautes plaines, de Clint Eastwood).
Informations au cinéma d’art et d’essai Le Melville 75 rue du Général-Leclerc, à Rouen. Tél : 02 32 76 73 20.

L’exposition sera présentée au Musée des Beaux-Arts de Rennes (du 13 février au 11 mai 2008) et au Centre de la Vieille Charité de Marseille (du 6 juin au 31 août 2008). En attendant, les Marseillais pourront lire ou relire le superbe A la grâce de Marseille, de James Welch (éditions Albin Michel).