Une rentrée théâtrale attractive !

 Une rentrée théâtrale attractive !

« Les Forains » (Théâtre 13, jusqu’au 14 octobre 2007), ça secoue ! La
violence verbale et l’humour acide de cette comédie « féroce »
rappellent parfois l’atmosphère survoltée de « La Chunga » (jouée en
2006 au Théâtre 13).

L’histoire - la rencontre nocturne de deux
voyageurs descendus d’un train et de trois forains - s’avère cruelle
et savoureuse. On y aborde les sentiers hasardeux de la communication
sociale. « Ce qui m’intéresse dans cette histoire, c’est cette
rencontre entre êtres considérés comme « anormaux » et « normaux »,
précise l’auteur Stephan Wojtowicz. On suit à un rythme d’enfer cette
oeuvre - au climat oppressant - où le réalisme alterne subtilement avec
le grotesque. En outre, le texte violent et frondeur de Wojtowicz
s’enrichit de la mise en scène alerte et colorée de Panchika Velez.
Somme toute, une pièce tonique, abordant des thèmes sociologiques
d’actualité, mais jamais ennuyeuse ! (durée : 1 h 40).

Théâtre 13 -103 A boulevard Auguste Blanqui - 75013 Paris - métro :
Glacière

Après l’univers forain et ses engueulades urbaines, un climat non moins
survolté s’offre à nous avec « Don Quichotte » (Théâtre de la
Tempête, jusqu’au 14 octobre 2007). Le fameux texte de Cervantès,
adapté par Philippe Adrien et Vladimir Ant d’après la traduction
d’Aline Schulman, nous guide vers les pérégrinations du mythique
« chevalier à la triste figure ». La diction enfantine des comédiens,
le foisonnement des costumes et la sophistication des grimages, tout
contribue à insuffler à ce « Don Quichotte » un climat à la fois
mystérieux et poétique. Donc une esthétique prenante alignant de
somptueux tableaux (la libération des galériens, le combat avec les
religieux) avec comme héros un schizo répulsif au look détonant -
mix de l’ « Ivan le Terrible » d’Eisenstein et d’un Alice Cooper
[période « From The Inside »] aux cheveux blonds (!) ! La mise en
scène de Philippe Adrien, souvent colorée de lueurs oniriques
(l’univers de Cervantès est aussi celui des enchanteurs), surfe
élégamment entre bouffonnerie et tragique. Quant à l’épaisseur
psychologique du roman de Cervantès, elle nous est subtilement
dévoilée : masochisme liant Sancho Panza à son maître, mesquineries
de Don Quichotte… De ce fait le mythe littéraire de l’idéal
chevaleresque bat de l’aile… et le crétinisme (foncier ?) du
personnage de fiction le plus populaire d’Espagne revient au galop !
Mais où est passée Rossinante ? (durée : 2 h 20 sans entracte).

Théâtre de la Tempête - Cartoucherie - Route du Champ-de-Manœuvre -
75012 Paris - métro : Château de Vincennes (puis navette ou bus 112).

Avec « « Tais-toi et parle-moi » (Manufacture des Abbesses, jusqu’au 7
novembre 2007), l’on est confronté à un univers tout aussi turbulent
mais ici cantonné aux relations amoureuses. En effet, sept personnages
évoluent sur scène exprimant leurs sentiments, leurs désirs, et leurs
difficultés à s’entendre. C’est une comédie tonique autour du couple,
propulsée par le texte malicieux de David Thomas et la robuste mise en
scène d’Hocine Choutri. Désir et remords, excitation et colère… les
couples de « Tais-toi et parle-moi », tels des vampires, ne semblent
jamais rassasiés. Leur faim ? plutôt les mots que les nourritures
charnelles. Le texte de Thomas, à la fois drôle et subtil, offre là
une réflexion perçante sur le langage du couple et sa potentielle
absurdité. Les personnages, plutôt réalistes, de « Tais-toi et
parle-moi » s’offrent une sorte de tribunal quotidien où
reconnaissance du désir et légitimation des actes ont valeur de
religion universelle. « Même le truc le plus simple, j’arrive à le
compliquer… C’est plus fort que moi ! », s’exclame un des personnages.
Une phrase reflétant l’ambiance de cette comédie insolite, jouée par
d’excellents comédiens.

« Tais-toi et parle-moi », ou la confusion comme pure forme de
communication… (durée : 1 h 15).
Manufacture des Abbesses - 7, rue Véron - 75018 Paris - métro : Pigalle

« L’Idiot » (Théâtre Mouffetard, jusqu’au 27 octobre 2007), entre
drame et comédie, offre une approche plaisante du célèbre roman de
Dostoïevski. « Je me suis jeté à corps perdu pendant des mois dans
l’œuvre romanesque de Dostoïevski […] Depuis, il n’a jamais plus quitté
mon âme », confie le metteur en scène Antoine Bourseiller, évoquant les
beaux jours du Théâtre national populaire de Jean Vilar. En tout cas,
les personnages au caractère bien trempé défilent sous nos yeux :
l’ambiguë Nastassia Philippovna, à la fois instable et généreuse ; le
riche et colérique marchand Rogojine ; Gania, l’ambitieux, enfin
l’idéaliste Mychkine, appelé « l’idiot », rongé par l’épilepsie.
Fresque quelque peu métaphysique où l’on retrouve les habituelles
obsessions de l’écrivain fantasque : la passion amoureuse, le thème du
double, le profane et le sacré… L’efficace mise en scène de
Bourseiller fait oublier les décors plutôt pauvres. Et les comédiens
« habités » du Théâtre Mouffetard rendent là un bel hommage à cette
œuvre majeure de la littérature russe. A-propos de « l’Idiot », le
comparant au « Don Quichotte » de Cervantès, l’anthropologue français
René Girard évoquait cet « impossible accord entre le héros et le
monde » (durée : 2 h 20 sans entracte).

Théâtre Mouffetard - 73, rue Mouffetard - 75005 Paris - métro : Place
Monge

L’on pourrait trouver bien des similitudes entre le personnage
romanesque de l’Idiot et celui du peintre Vincent Van Gogh : idéalisme
exacerbé, fureur mystique, goût pour l’autodestruction ! L’homme à
l’oreille coupée, qui se flingue dans de curieux Champs de blé aux
corbeaux (il n’a que 37 ans !), reste une énigme.

Avec « Van Gogh à Londres » (Théâtre de l’Atelier, jusqu’au 28 octobre
2007), nous faisons connaissance avec un certain Vincent, un jeune
homme de 20 ans apparemment beaucoup plus relax. Le Néerlandais roux a
trouvé refuge dans une petite pension de famille de la banlieue
londonienne. En cet hiver 1873, sa vie quotidienne est même marquée
par une certaine insouciance. Vincent dessine, boit du thé ou s’envoie
une bière - dans une cuisine avec de grands buffets - en compagnie
d’un jeune peintre à qui il prodigue quelques conseils. « Un auteur
anglais nous propose un conte, un pont entre deux lettres, la trame
d’un moment inconnu de la vie du jeune Vincent, comme une pièce, un
raccommodage de fiction sur un silence de la correspondance que Van
Gogh a entretenue avec son frère », constate Hélène Vincent [version
scénique & mise en scène] à propos de l’œuvre de Nicholas Wright (*).
Un conte cocasse qui suggère les rapports à la fois étranges et
passionnels noués par Vincent avec les divers occupants de la
pension. On signalera l’excellente interprétation de Guillaume
Marquet et de Josiane Stoléru. Cette pièce, à la mise en scène des
plus subtiles, constitue une des agréables surprises de la rentrée
théâtrale (durée : 2 h).


Théâtre de l’Atelier - 1, place Charles Dullin - 75018 Paris - métro :
Anvers ou Abbesses.

(*) La pièce « Vincent in Brixton » a été créée par Nicholas Wright en
mai 2002 au National Theatre à Londres et a depuis lors été jouée dans
différents théâtres de Londres et à Broadway. Le spectacle a reçu
l’Olivier Award for Best New Play en 2003.