La religion de l’amour

"Je crois en la religion de l’amour, où que se dirigent ses caravanes, car l’amour est ma religion et ma foi", écrivait Ibn Arabi (Murcie, 1165 - Damas, 1240), philosophe mystique, grand maître du soufisme. Amour qui doit accompagner les êtres qui participent au voyage universel sans fin. Voyages donc, décrits par la Révélation et la tradition prophétique. Voyages à travers les mots aussi, des mots d’amour qui sont ceux qu’Isabelle Eberhardt écrivit au début du vingtième siècle au cœur du Maghreb.

Mots d’amour alors, mais aussi maux intimes que l’auteur nous dépeint en fiction pour mieux cacher sa souffrance. Passionnée d’Amour, Isabelle Eberhardt en fit sa religion jusqu’à se transcender vers le mysticisme calme de l’Islam maraboutique des zaouïa du Sud.
C’est à l’âge de vingt-deux ans qu’elle part pour la première fois en Tunisie. Elle partage sa vie avec les gens du désert, et ces vingt nouvelles, nourries de son intimité, décrivent le désespoir de la passion amoureuse devant les interdits du clan et la fragilité humaine.

La nouvelle "La Zaouïa" est l’une des seules où elle se permet quelques libertés en nous offrant une autobiographie amoureuse. Nouvelle qui ne paraîtra qu’une vingtaine d’années après sa mort, quand sa renommée permettra de faire accepter l’outrecuidance de sa conduite, jugée beaucoup trop libre pour l’époque.
Rare moment d’intimité que nous ayons avec l’auteur qui ose enfin écrire à la première personne. Et la magie du "je" nous ouvre les portes de son cœur : Isabelle Eberhardt brise le tabou de cette période coloniale pour évoquer ses " frères " et leurs affinités électives, dépeindre le désespoir de leur passion amoureuse devant les interdits du clan, la transgression, ses amants, dont deux sont des Arabes, des chérifs …
A travers ces amours mixtes " orient-occident " réprouvées par les deux cultures, précurseurs, fragiles et vouées au drame, quand elles ne sont pas transcendées par la foi, l’auteur, comme dans un miroir, est au plus près de lui-même.

Elle a en commun avec ses "frères musulmans" de n’avoir point peur de la mort. Même lorsqu’un coup de sabre manque de lui ôter la vie, Isabelle Eberhardt demeure toute à sa réflexion. Sa destinée semble imparable : sa mésaventure dans les dunes du Souf la conforte dans sa certitude : la mort est inéluctable, et Isabelle Eberhardt se sent désormais plus fragile, vulnérable.
"La Derouicha" délaisse les amours clandestins pour l’amour fou, l’amour mystique de celui qui foule le sentier de Dieu. Dissimulée sous le personnage du Vagabond, Isabelle Eberhardt, aime à se perdre dans les récits de la vie simple et rude, à même la terre, sur les pistes poussiéreuse du désert. Vient ensuite "Le Paradis des Eaux", où en écho à l’aridité du djebel, se pose en libérateur des consciences l’élément liquide qui aura raison d’elle quelques années plus tard. Cet amour apaisant fait d’eau douce et claire ouvre la porte des rêves délicieux …

Isabelle Eberhardt écrit aussi, et surtout, la vie des autres sur lesquels elle pose un regard tendre et aimant. Proche des prostituées, des légionnaires, de tous ces exclus que la société civile ignore, elle s’affranchit du carcan des traditions et des préjugés bourgeois pour ne voir que l’homme dans son espace de vie.
Ce récit est le fruit de sept années d’errance dans le désert, d’une jeune femme qui usa d’une double identité. Ainsi, quand elle meurt en 1904, à l’âge de vingt-sept ans, noyée dans la crue d’un oued, est inscrit sur sa tombe : Isabelle Eberhardt, écrivain, Mahmoud Saadi, baroudeur mystique du Sahara.
En proposant une nouvelle lecture de son œuvre les "Editions du Centenaire" veulent perpétuer son souvenir …

AMOURS NOMADES
Isabelle Eberhardt
Editions Joëlle Losfeld, 2003
189 pages - 10 euro

Achetez le livre sur Amazon