bâtons rompus avec Sofiane Hadjadj :« Traduire l’imaginaire et l’inconscient algériens »…

 bâtons rompus avec Sofiane Hadjadj :« Traduire l'imaginaire et l'inconscient algériens »…

Il est auteur et éditeur. Nouvelliste et romancier. Spectateur averti et acteur incontournable de la scène littéraire algérienne. Son nom s’est confondu ces dernières années avec la maison d’édition qu’il a cofondée avec sa femme Selma Hellal. Les éditions Barzahk nées en Avril 2000 ont permis en réalité de ressusciter un paysage littéraire et culturel jusque là très terne. De Habib Ayyoub à Mustapha Benfodil en passant par Ali Malek et bien d’autres encore, Sofiane nous a fait découvrir de nouveaux talons, de nouvelles plumes qui ont changé notre regard sur le génie littéraire algérien.

Avec un peu plus de 70 titres déjà publiés, Barzakh éditions est devenue incontestablement un label littéraire. Avec un catalogue qui comprend Maïssa Bey, Mohamed Arkoun, Salim Bachi, Amine Zaoui et d’autres noms illustres, Barzakh est bel et bien aujourd’hui le miroir qui reflète le mieux la création artistique algérienne. Après s’être frayé un chemin dans le si réduit et difficile milieu éditorial, Sofiane Hadjadj continue à rêver de d’autres projets.

Et pourtant, ce n’est pas les soucis qui manquent. « Vous savez je peux facilement vous énumérer tous les obstacles que nous rencontrons chaque jour : lectorat très réduit, réseau de distribution très déficient, les islamistes… Et après cela qu’est-ce qu’on peut dire d’autre ? En 2004, j’ai quitté le syndicat des éditeurs parce que j’ai compris que ce n’était pas mon rôle de proposer des projets que le ministère de la Culture ne pourra guère concrétiser faute de moyens et à cause d’un budget dérisoire dans un pays qui compte 100 milliards de Dollars dans ces caisses ! », Confie-t-il non sans aucune résignation. Il faut dire que notre ami Sofiane n’aime pas beaucoup les âmes tourmentées et les esprits défaitistes. « Mon ambition est pour la littérature. Lire et éditer des textes, c’est cela mon métier.

Elaborer un catalogue pour donner un aperçu du paysage littéraire algérien et traduire les différentes sensibilités littéraires des algériens, c’est cela mon rôle et pour l’accomplir je ne me pose pas beaucoup de questions », assène-t-il. Néanmoins, Sofiane reconnaît que l’obsession commerciale a masqué quelque part la passion littéraire des éditeurs algériens. « Il est impossible de ne publier que de la littérature. Un éditeur ne survivra pas ainsi. C’est pour cela que nous avons élargi notre catalogue à l’essai, les beaux livres, l’histoire ou la sociologie », explique-t-il. Dans ce contexte, Sofiane s’est employé à nouer des partenariats pour envisager l’avenir avec plus d’assurances. « Jusqu’à maintenant nous avons vivoté. Mais depuis 3 mois, nous avons un nouvel actionnaire. Il s’agit en fait d’un importateur de livre avec lequel nous nous sommes associés pour garantir un meilleur équilibre financier pour la maison d’édition », affirme-t-il.

Heureusement que le caractère de notre éditeur est bien trempé car imaginez-vous la scène littéraire algérienne sans Barzakh éditions ? Si vous êtes encore sceptiques, vous n’avez alors qu’à jeter un coup d’œil sur ces chiffres : une cinquantaine de manuscrits reçus chaque mois, 10 publications par an et pas moins de 35 ouvrages qui seront édités au cours de cette année 2007. Un nouveau Maïssa Bey est annoncé au mois de septembre alors que le recueil de nouvelles (Les douze contes de minuits) du virtuose Salim Bachi est déjà en vente dans les librairies. Chez Barzakh, les jeunes auteurs ont la même considération que les auteurs consacrés. « Notre principal objectif est de réussir à traduire l’imaginaire et l’inconscient algériens à travers tout ce qui s’écrit ici en Algérie », indique notre interlocuteur.

De ce point de vue, le regard que porte Sofiane Hadjadj sur la littérature contemporaine algérienne est très formateur. « Pour moi, Salim Bachi et Mourad Djebel sont les écrivains les plus intéressants de leurs générations. L’écriture de Salim Bachi est d’une virtuosité canalisée et dotée d’une inspiration très large. En le lisant on se dit que rien ne peut l’arrêter et pour s’en rendre compte il suffit de lire son dernier roman Tuez-les tous. Quant à M. Djebel, il a aussi une écriture sublime. D’ailleurs Les Cinq et Une Nuit de Sharazède est vraiment un grand livre », déclare-t-il.

Mais qu’en est-il alors des autres auteurs ? Sofiane Hadjadj n’hésite guère à nous dévoiler le fond de sa pensée pour nous éclairer sur cette question. « Aujourd’hui, j’ai l’impression que les auteurs algériens confondent leur mal-être et l’écriture. Ils n’écrivent pas assez avec la littérature, mais beaucoup avec de la souffrance. L’écriture, il faut le dire, n’est pas qu’un étalage d’états d’âmes », analyse-t-il. Cependant, notre interlocuteur n’y va par quatre chemins pour clamer une vérité, à ses yeux, de plus en plus manifeste : « l’Algérie est numéro 1 dans l’édition francophone et même dans le monde arabe.

Il y a une véritable vitalité littéraire dans notre pays qu’on ne retrouve pas aisément ailleurs. En France, à chaque rentrée littéraire de nouveaux romans sont publiés et portent des signatures algériennes. Idem dans le monde arabe », dit-il. Plus loin il nous ajoutera : « personnellement, je suis fier de Yasmina Khadra et de Boualem Sansal qui publier tous les ans. Ils font honneur à l’Algérie à travers leurs livres qui sont traduits dans le monde entier. Je suis également fier de Waciny Lareedj qui a remporté l’un des plus prestigieux prix littéraires dans le monde arabe au Qatar. Mais ce qui me fait mal au cœur, c’est que ces écrivains sont ostracisés dans leur propre pays. Ils n’ont reçu aucune reconnaissance et en leur donne rarement la parole. Prenez par exemple une émission aussi populaire que Saraha Raha, y a-t-on invité ne serait-ce qu’une seule fois un écrivain ? »

A cette interrogation, Sofiane Hadjadj trouve bien une réponse. « La vérité est toute simple : la société qu’on nous propose minore la culture et la littérature. Dans ce contexte, il ne reste alors que l’étranger où l’écrivain algérien trouve une porte de sortie », regrette-il sur un ton amer.

« Tout ne commence vraiment à être irrémédiable qu’à partir du moment où les meilleurs renoncent, et s’inclinent devant ce mythe : la fatalité », disait Martin du Gard. Mais fort heureusement, Sofiane Hadjadj ne cultive pas ce mot dans ses pages blanches emplies d’espoir. En nous parlant de ces auteurs préfères : Kafka, Lewis Carroll, Fitzgerald, et bien d’autres, cet indéboulonnable éditeur, ce passionné des lettres, nous a fait découvrir le remède à tous les maux de la vie : écrire et lire. Il s’agit enfin « de la seule arme pour ne pas sombrer dans la folie »…

Né en 1970 à Alger, Sofiane Hadjadj a passé sa jeunesse entre la Tunisie, l’Algérie, et le Maroc. Il a ensuite suivi des études d’architecture (Paris-Tolbiac) et de lettres et civilisation arabes (Sorbonne). En avril 2000, Sofiane Hadjadj a fondé à Alger les éditions Barzakh avec sa compagne Selma Hellal. Leur but : que les auteurs algériens, francophones ou arabophones soient publiés dans leur pays. Il est également auteur de deux recueils de nouvelles : La Loi, Yous et Moi et d’un roman : Ce n’est pas moi.