Beyrouth, comme si vous y étiez ...

Beyrouth, comme si vous y étiez ...

Beyrouth n’est pas le Liban tout comme New York n’est pas représentative des USA. Ces deux villes cosmopolites sont des étoiles qui souffrent de trop d’autonomie et aspirent à l’indépendance ... Et ce ne sont pas les deux attentats des 20 & 21 mai 2007 qui vont changer les choses. Voici donc un portrait instantané en plusieurs images, plusieurs auteurs, d’une ville et d’une population qui ne s’avoue pas vaincues ...

Jalousées bien souvent, ces destinées impossibles sont victimes de leur succès et payent trop souvent un lourd tribu face à la folie des hommes. Mais leur sang fait des millions de vies de ses habitants est survitaminé. La rage de vivre est la plus forte. La volonté d’aller de l’avant efface toutes les peines. Beyrouth cent fois martyrisée se relèvera une fois encore des ignominies d’Israël ... de la stupidité crasse des fondamentalistes, des coups d’état, des attentats ...
La preuve !

Liban, pays de la beauté, du cèdre et de l’encens, mais pays-tapin aussi, terre souillée aux chefs de clan pervers et avides qui continuent inlassablement à téter le sein de la terre maternelle, la terre originelle, terre vendue et revendue, louée pour les guerres des autres, génitrice de tant de massacres, de fanatisme, de féodalisme. Et ce peuple immature, victime des bombes israéliennes qui frappent aveuglément en cet été 2006, comme s’il fallait une fois encore punir ces gens-là pour bien leur faire comprendre qu’ils ne seront jamais libres de leur destin. Mais pourquoi s’acharner ainsi ? Car Beyrouth, avant d’être une ville, et une idée, une idée simple que tout le monde hait car elle demeure, malgré tout, malgré la guerre, malgré la mort et les destructions, vaillante et insolente, son énergie inépuisable, sa capacité infinie. Beyrouth déborde sauvagement dans l’art de produire de la vie. Une idée simple mais qui indispose. Une idée à abattre, mais une idée qui exige qu’on la défende. Et quoi de plus efficace que de la montrer telle qu’en elle-même, infidèle, outrancière, pute mais traditionnelle, soumise mais rebelle, détestable, obscène, langoureuse et romantique, artificielle et bétonnée, bordélique mais providentielle ...

Beyrouth est LE paradoxe du monde arabe, libérée mais sujette à la censure, moderne mais gouvernée par des principes tribaux, artistique et indisciplinée, futuriste et rétrograde. Envoûtante et multicolore comme ses habitants, Beyrouth méritait bien un dossier spécial pour affirmer le pari de l’avenir, écrit par de jeunes auteurs confrontés à la brutalité de la guerre qui semblent, eux aussi, comme Jean Daniel, vouloir plus que jamais résister à l’air du temps ...
Constituée en réseau, l’équipe qui a composé ce numéro de La pensée de midi était éparpillée soit à Beyrouth, soit à Amman, soit à Paris du fait de la guerre de juillet 2006. Via Internet les échanges n’ont jamais cessé. Les articles se sont écrits. Les témoignages cristallisent quelques vérités rarement dites, souvent rapportées avec beaucoup d’humour. Les styles différent dans un florilège de tons et de nuances qui démontrent aussi que la langue française n’est jamais aussi bien écrite qu’au-delà de ses frontières originelles car elle porte en elle la rigueur de son histoire et la légèreté de ses enfants. Nouvelle, enquête, réflexion, essai ... tous ses petits bouts du Liban ici exprimés fleurissent bon l’irrévérence tout en s’efforçant de préserver l’unité d’une ville et d’un pays qui marche sur la tête ...

L’on ira de surprise en surprise, avec quelques points d’orgue dont la représentation des Monologues du vagin donnés en arabe dans un théâtre de la ville démontrant bien que Beyrouth est la ville à part du monde arabe. Un défi insensé que l’on doit à Lina Khoury qui, loin des revendications purement féministes, a essayé de lever le voile sur certains aspects de la vie des femmes, leurs problèmes quotidiens, ordinaires, avec infiniment de respect et sans leçons de morale. Le résultat aura été une réelle catharsis dans un coin du monde où souvent les détails les plus intimes et personnels sont considérés comme honteux.
Dans l’intimité d’un salon de beauté est un pur délice de lecture où l’on apprend les petits secrets intimes et s’affiche la différence criante des mentalités dans un parallèle dressé entre un salon parisien et son homologue beyrouthin.
Une série de portraits de jeunes femmes branchées nous en apprend aussi sur les modes et coutumes de la vie nocturne, de laquelle découle un paysage social assez perturbant qui tente avant insuccès de mêler tradition et liberté de mœurs.
La route de Soi démontre qu’il y a deux vies bien distinctes à Beyrouth : il y a la vie "normale" et il y a la vie au volant, avilissante. Avec, toujours ce comportement humain identique, cette agressivité permanente, ce nombrilisme érigé en étendard. La circulation dans la capitale libanaise traduit directement la névrose de la population ; "les chemins de la ville s’offrent comme un lieu d’expression de toutes les frustrations, de toutes les frimes et de tous les assassinats par voiture piégée qui raflent destinées-phares, destinées-suspectes et ceux qui passent à côté. Eu égard à ces incidents, le code de la route maintient le silence."

Un entretien avec Jean Daniel et un inédit de Anne Brunswic ponctue ce vingtième numéro qui nous offre - enfin - une autre fenêtre ouverte sur Beyrouth, ville anathème par excellence qui sera, encore et toujours, à la fois le phare et le piment de l’Orient.

La pensée de midi, n°20 - Beyrouth, XXIe siècle, Revue littéraire et de débat d’idées, Dossier coordonné par Mohamed Kacimi, 130x240, Actes Sud, mars 2007, 224 p. - 15,00 €