Vers la grève générale ?

Vers la grève générale ?

« Ils ont voté et puis après ? » chantait Léo Ferré. Après ? Nous allons avoir chaud, très chaud. Le gouvernement aussi sans doute. Parce que ça branle déjà dans le manche. Plusieurs organisations préparent des manifestations unitaires dans toute la France pour le 16 mai, date où Chirac donnera les clefs de l’Elysée à Sarkozy.

Il n’a pas fallu attendre bien longtemps pour que l’élection de Nicolas Sarkozy provoque des troubles. Dès l’annonce des résultats, les pavés ont volé bas, les poubelles et les voitures se sont enflammées. Cela ne s’est pas produit dans les banlieues à karchériser, mais en plein Paris et dans certaines grandes villes. Une première un soir d’élection. Bravo Sarko !

Les grands démocrates, de droite comme de gauche, ont vite appelé au calme pour respecter « le verdict des urnes ». Quand on sait que Sarkozy, dans la lignée des Berlusconi-Bush-Blair, est épaulé par tous les réseaux financiers, industriels et médiatiques du pays, où est la démocratie ? Il serait plus juste de parler de démocrassouille. « A bas le PPA ! (Parti de la presse et de l’argent) » scandaient des manifestants.

Inutile de revenir ici sur le spectacle pathétique digne d’une opérette offert par le nouveau président entouré d’une brochette d’ex-vedettes sorties de la naphtaline. Inutile de revenir sur les frasques de milliardaire du Sarkozy défenseur du petit peuple travailleur (nuit dans un palace à 8 500 euros la suite, balade en jet privé, croisière en yacht pour plus de 170 000 euros…).

Des manifs il y en a eu et il y en aura encore. Les bavures sont déjà là. Le Mague a parlé de Romain, ce jeune journaliste de 29 ans qui a pris quatre mois de prison ferme parce qu’il a eu la bêtise de ramasser un pavé pour garder un souvenir. Un avocat commis d’office, des témoins muselés, il a eu droit à la grande parodie de justice offerte par la comparution immédiate. Le Mague a montré également le film de l’arrestation d’un gamin affolé qui n’avait pas vraiment la tête d’un terroriste entraîné dans un camp palestinien.

Il y a aussi Philippe Roset, cet ingénieur naïf de 31 ans qui a eu la drôle d’idée d’aller chercher sa copine à Saint-Michel au mauvais moment. Embarqué au commissariat du XVIIIe arrondissement pour un contrôle d’identité, il a subi divers mauvais traitements (jet de gaz lacrymogène dans un car surchauffé où quarante-quatre personnes marinaient sur l’air de la Marseillaise version Mireille Mathieu, violences verbales, matraquage à la sortie…). Bilan : dix points de suture à la tête, hématomes multiples et six jours d’interruption temporaire de travail. C’est beaucoup pour un passant ordinaire qui dit n’avoir aucune animosité envers la police. Il a porté plainte pour « violences illégitimes » à l’inspection générale des services.

Des centaines d’arrestations dans toute la France. Des peines très lourdes partout même quand les casiers judiciaires étaient vierges. Des milliers de mômes et des familles tranquilles ont découvert brutalement les charmes du Sarkoland.

Dans la même semaine, le 9 mai, quatre à cinq cents militants néo-nazis ont pu parader dans Paris, à l’angle des rues d’Assas et des Chartreux, sans être inquiétés par la police. Signe des temps. Cagoulés et masqués, ils ont posé des couronnes de fleurs en hommage à l’un des leurs décédé en 1994 (lors d’une manifestation contre la célébration du cinquantenaire du débarquement américain de 1944). Croix celtiques accrochées sur la façade d’un immeuble, chants des mercenaires allemands d’il y a quatre siècles, slogans appelant un « ordre nouveau » sans oublier « La France aux Français ! », bras droits tendus, torches allumées… Karl Laske, journaliste à Libération, dit que ça ressemblait à un meeting des années quarante. Finalement, les mêmes se mirent à hurler « Hooligans PSG ! Hooligans PSG ! ». Cette « cérémonie » est habituellement interdite. Les témoins ont eu le souffle coupé. Pas l’ombre d’un flic à l’horizon. Le service d’ordre fasciste, armé de battes de base-ball bien visibles, faisait sa loi. Peu avant, deux cents manifestants antifascistes (Sud Etudiant, Scalp-reflex et JCR) avaient été interpellés « préventivement » boulevard Saint-Michel et conduits par cars de police entiers dans différents commissariats…

Quelle suite aura l’indéfinissable mouvement « anti-Sarkozy » ? On peut comprendre les craintes, la colère et l’exaspération des personnes qui ont manifesté dès les résultats de l’élection, mais, on l’a vu, ce type d’affrontements est improductif car il déclanche aussitôt une surenchère du tout répressif et du tout sécuritaire.

En apparence, les mouvements spontanés peuvent avoir un côté sympathique. On sait cependant qu’ils sont aussi perméables à toutes sortes de manipulations et de provocations. De bien curieuses choses se sont déjà déroulées lors de manifestations passées… Pour peu que quelques drapeaux CNT, LCR ou même MJS traînent dans le coin, ce seront les « anarchistes » et les « gauchistes » qui seront montrés du doigt en cas de pépins. Air connu.

Une réponse politique est plus appropriée. Un front social unitaire de masse sera un rempart plus sûr contre les attaques gouvernementales et patronales à venir. Comme souvent, la jeunesse montre l’exemple en appelant à une manifestation le mercredi 16 mai, jour où Sarkozy 1er prendra ses fonctions.
L’appel est lancé par Alternative libertaire (AL), la Confédération nationale du travail (CNT) – secteur Supérieur/Recherche RP et Fédération syndicale étudiante (FSE), les Jeunesses communistes révolutionnaires (JCR), le Mouvement des jeunes communistes de France (MJCF) et SUD Etudiant. Ils dénoncent les attaques programmées contre les jeunes et les salariés, mais aussi pas mal d’autres choses dont le projet d’un « ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale ». Ils militeront encore pour l’amnistie des jeunes arrêtés lors des manifestations de ces derniers jours.

Des assemblées générales ont eu lieu à Nanterre, à Tolbiac, à Toulouse… Les étudiants alignent leurs revendications (arrêt des expulsions et régularisation de tous les sans-papiers, refus du Contrat Unique et abrogation du CNE, respect du droit de grève, refus de la sélection et de l’augmentation des frais d’inscription à l’université…) en appelant à la constitution de Comités de Résistance ouverts à tous, dans toutes les facs, tous les lycées et quartiers.

De bonnes âmes leur reprocheront de ne même pas avoir attendu la création du nouveau gouvernement pour s’énerver. Pas besoin d’être devin pour savoir vers quoi veut aller Sarkozy. Le programme électoral de l’UMP était clair et Sarkozy a le mérite de ne pas avoir caché ses intentions. Ceux qui ont voté pour lui, ceux qui ont voté contre lui, ceux qui ont fait la grève des urnes savent ce qui va maintenant se passer. Le scénario est écrit. Il n’y a plus qu’à tourner le remake de Travail-Famille-Patrie. Bonjour la « modernité » !

Le retour en arrière est déroutant. Rappelons-nous les années sombres, la propagande vichyste qui dénonçait l’esprit critique et scientifique, l’humanisme et la laïcité. Rappelons-nous la charte du travail qui prônait l’interdiction du droit de grève. Rappelons-nous les magouilles économiques et policières grâce auxquelles les forces de l’argent tirèrent un profit maximum… Pour la première fois depuis la Libération, un homme politique devient président de la République en reprenant ouvertement à son compte la plupart des thèses de l’extrême droite. Ce n’est pas une mince affaire. Il est clair que les pires reculs sociaux s’annoncent. Manifester relève du principe de précaution. Il faut bouger avant qu’il ne soit trop tard.

Disparue en mars dernier, la résistante Lucie Aubrac disait que le verbe Résister doit toujours se conjuguer au présent. Je résiste, tu résistes, il ou elle résiste… Conjuguons la suite ensemble sans rien attendre des Législatives (ça vous amuse encore les élections ?) ou des amis de Ségolène Royal. Nous venons de voir une nouvelle fois que la politique est une chose trop sérieuse pour la laisser aux politiciens. Prenons nos affaires en main !

Au-delà du 16 mai, les organisations de jeunesse invitent les organisations de salariés, les organisations politiques et associatives, à une réunion unitaire le mardi 22 mai, à 19 heures, à la Bourse du Travail, à Paris, pour discuter de la perspective d’une grande manifestation. A quand la grève générale ?