Les littératures africaines à l’honneur dans un colloque à Tamanrasset

Les littératures africaines à l'honneur dans un colloque à Tamanrasset

Quand l’Afrique s’écrit et se lit…
La nouvelle université de Tamanrasset, fraîchement inaugurée en août 2006, a abrité, du 1 jusqu’au 5 avril, un évènement littéraire exceptionnel et sans précédent en Algérie. En effet, le colloque international : « la littérature africaine au XXI siècle : sortir du post-colonial » a fait de la capitale de l’Ahaggar, et ce pendant 5 jours, le foyer des littératures africaines en présence d’une trentaine de participants nationaux et internationaux.

Ainsi, des chercheurs venant en majorité de l’Algérie et de France, mais aussi des Etats-Unis, de l’Australie, de l’Autriche, de Grande-Bretagne, d’Afrique du Sud et de Syrie, ont tous eu pour intérêt de réfléchir sur la dénomination de littérature post-coloniale après plus de 40 ans d’indépendance des pays africains.

Ce colloque organisé par le département de français de l’université d’Alger et le groupe de recherche Grilua de l’université d’Angers avec le concours de la bibliothèque nationale du Hamma, s’est voulu être avant tout un carrefour d’échanges et de rencontres entre des chercheurs issus d’horizons divers qui travaillent sur les littératures africaines et leurs expressions plurielles. Pour cela, les organisateurs (Mme Afifa Bererhi, Amina Bekkat et M. Benaouda Lebdai) en collaboration avec la direction de la nouvelle université de Tamanrasset (479 étudiants répartis sur deux départements : droit et psychologie) ont mis à la disposition des participants toutes les conditions nécessaires pour un séjour agréable propice à la réflexion et à la recherche critique.

A l’amphithéâtre flambant neuf de l’université « africaine » de Tamanrasset, les séances d’interventions programmées de la matinée jusqu’à l’après-midi ont été toutes suivies de débats qui n’ont guère manqué d’originalité et de perspicacité. Des soirées littéraires ont même été organisées avec des lectures de textes africains à l’image de Peuls de Tierno Monenembo, invité d’honneur du colloque, récité par Mme Amina Bekkat de l’université de Blida. Notons tout de même que quelques participants n’ont pas pu répondre présents, pour diverses raisons, lors des travaux de ce colloque à l’instar de l’écrivain algérien, invité d’honneur aussi, et directeur de la bibliothèque nationale, M. Amine Zaoui.

Rompre ou évoluer avec le post-colonial ?

C’est cette problématique qui a hanté les esprits des participants du colloque. A ce sujet, M. Benaouda Lebdai, enseignant et chercheur à l’université d’Angers en France, a proposé dans sa communication (sortir du postcolonial : évolution ou nécessité ?), une réflexion sur le concept « postcolonial » fondée sur la nécessité de trouver une « appellation alternative à ce concept ». Dans cette perspective, l’intervenant à établit un états des lieux, un historique des différents concepts critiques allant de la littérature coloniale aux écrits réactifs à la colonisation pour aboutir à la création littéraires post-indépendance. Pour M. Lebdai, le concept « post-colonial » répond à la volonté de perpétuer une dépendance de l’Afrique vis-à-vis des anciennes puissances colonisatrices. Il se demande même si une « vision idéologique du monde ne se cacherait pas derrière le maintien de l’idée de colonialisme dans la relation complexe entre ex-pays colonisés et pays occidentaux ? »

Quant aux éclairages critiques apportés à ce concept, M. Lebdai cite Jean-Marc Moura pour lequel le post-colonial désigne « moins un ensemble littéraire venant après l’évènement majeur du colonialisme que les littératures placées dans un certain rapport de situation à l’égard de l’histoire coloniale, de ses pratiques comme de sa symbolique, et dont elles sont attentives à dépister les traces jusqu’à notre époque. »
Cependant, M. Lebdai n’omet pas de joindre sa réflexion à un monde globalisant où les écrivains africains comme les autres se veulent « désespérément universels ».

D’autres participants ont suggéré dans leurs communications de sortir du « post-colonialisme ». Philip Whyte, de l’université de Tours, a fait valoir cette piste de réflexion et ce à travers sa lecture des romans des écrivains nigérians Ben Okri, Biyi Bendeli-Thomas, et le ghanéen Kojo Laing. Pour Philip Whyte, les années 80 ont vu l’émergence en Afrique de l’Ouest anglophone d’une nouvelle génération d’écrivains qui rompent avec l’écriture de leurs devanciers les plus connus. Ainsi, après l’adhésion aux codes du réalisme littéraire et les exigences d’un certain didactisme qui ont marqué par exemple l’écriture d’Achebe et d’Armah, une autre génération d’écrivains tentent à travers des techniques d’écritures novatrices d’orienter la littérature anglophone en direction de territoires jusqu’alors peu explorés. Philip White a illustré la nouveauté de cette écriture à travers des exemples précis en essayant, en filigrane, de poser les points de rupture avec la littérature africaine dite « post-coloniale ».


La spécificité sud-africaine

L’Afrique du Sud a fait l’objet d’un intérêt particulier dans les travaux du colloque. Et pour cause, nous avons assisté à pas moins de 4 communications sur la littérature de ce pays qui en matière d’indépendances africaines, il n’est pas dans le même cadre chronologique que le reste du continent. Ce pays a du attendre 1994 pour se libérer du joug des maîtres blancs à l’origine de l’Apartheid. Ce contexte historique particulier est à l’origine selon de nombreux intervenants de la spécificité sud-africaine. Dans ce sens, Mme Vicki Briault- Manus, de l’université Stendhal-Grenoble 3, a mis en relief comment le développement du colonialisme avec des raffinements inimaginables a pu se produire en Afrique du Sud. Concernant la création littéraire, l’intervenante a traité de 4 romans parus pendant la période post-apartheid débutant en 1994, écrits par trois écrivains sud-africains noirs : Njabulo Ndebele, Zakes Mda et Sindiwe Magona, et une métisse du Cap, Zoé Wicomb. Pour Vicki Briault- Manus, les romans sud-africains appartenant à des groupes si récemment opprimés témoignent de « nouvelles façons de fusionner littérature et histoire et font entendre des voix qu’on écoutait pas. »

Quant au terme postcolonial, selon Vicki Briault- Manus il n’est pas caduc pour décrire l’ère post-apartheid. Le cas de l’Afrique du Sud serait même une défense de ce concept qui représente au yeux de l’universitaire une étape incontournable dans le macro processus historique que représente le colonialisme et sa place importante dans l’analyse « des rapports de force politiques, économiques et culturelles qui régissent la planète à l’ère de la mondialisation. »

L’œuvre du prix Nobel J.M. Coetzee a été aussi au centre des réflexions notamment dans la communication de Ludmila Ommundsen, de l’université du Havre, qui s’est intéressée de prés au roman majeur de l’écrivain sud-africain : Disgrâce (1999). Pour l’intervenante, ce texte est aussi inquiétant que provocateur car il illustre la difficulté de sortir de la culture d’une violence dont les « racines plongent dans le colonial et le mythique ».

Ce roman raconte le parcours de David Lurie, un intellectuel blanc qui quitte Cap Town pour la petite ville de Salem à la suite d’une plainte pour viol. Pour Ludmila Ommundsen, ce personnage fait découvrir aux lecteurs une société parcourue de tensions, déchirée entre le désir de changement et la force du conservatisme.

L’exemple de la littérature algérienne

La littérature algérienne s’est invitée aussi dans les travaux de ce colloque à travers plusieurs communications. Zineb Ali-Benali, de l’université Paris 8-Vincennes, a fait le point au cours de son intervention sur la question du postcolonial en examinant quelques aspects des romans de la dernière décennie. Pour l’intervenante, si la « gestion mémorielle de ce temps n’est pas encore réglée », les renouvellements thématiques et esthétiques qui se dégagent des textes de Salim Bachi, de Yasmina Khadra et de Boualem Sansal par exemple, montrent bien qu’un franchissement des frontières à travers des personnages et des paysages différents traduit plus que jamais une sortie du cadre national. De son côté, Zoubeida Kadi, de l’université d’Alep (Syrie), considère que les évènements violents qui ont déchiré la société en Algérie deviennent « dans la littérature algérienne un lieu de réflexion des conflits et une urgence qui a tendance à l’immédiateté du témoignage avec un degré zéro de l’écriture. »

Pour Zoubeida Kadi, l’installation progressive de l’horreur en Algérie explique l’impossibilité pour l’écrivain algérien de se détacher du réel. L’intervenante s’est appuyée sur l’exemple de Yasmina Khadra qui incarne à ses yeux « l’écrivain situé entre deux pouvoirs, l’armée et le groupe intégriste. »

Toujours selon Zoubeida Kadi, chez Yasmina Khadra la distanciation littéraire de l’horreur passe par le genre du roman policier même si son roman devenait de plus en plus sombre, avec la montée de la terreur en Algérie. Dans ce contexte, le roman devient, pour la chercheuse syrienne, une « véritable thérapie » pour écrire et faire face au désastre.

Un centre de ressources sur les littératures africaines

Après 3 jours marqués par d’intenses séances d’interventions suivies de débats passionnants, l’ensemble des participants et les organisateurs ont tenu une table ronde pour conclure ce colloque avec des recommandations. Il faut dire que cet exercice était loin d’être aisé car les divergences des visions et des points de vues ne facilitèrent guère la tâche. Néanmoins, tous les participants sont montés au créneau pour demander la constitution d’un centre de ressources sur les littératures africaines. Ce centre permettrait ainsi de renforcer les relations entre les chercheurs africains ou autres qui s’investissent dans l’étude des littératures africaines. De nombreux participants ont fait part de leur souhait de voir ce centre s’établir au sein de l’université africaine de Tamanrasset.

La mise en lumière des nouvelles formes d’expressions littéraires qui émergent aujourd’hui en terre d’Afrique. Quant au concept « post-colonial », le débat vif qui a porté sur le choix de sa définition ou la pertinence de son utilisation dans la critique littéraire n’a pas permis de clarifier la problématique qu’il impose au champ littéraire africain. Néanmoins, cela n’a aucunement empêché ce colloque de conclure en beauté en mettant à l’honneur la richesse culturelle et littéraire d’un continent qui, malgré ses misères et ses malheurs contemporains, ne cesse de s’écrire et de se lire. Espérons seulement alors que de telles initiatives continuent à voir le jour dans notre pays.