J’ai mal à la France
Il m’est arrivé de prendre quelques cuites dans ma vie. Peut-être même plus que ça… J’ai rarement eu une telle gueule de bois…
Aujourd’hui j’ai un peu peur. Aujourd’hui j’ai mal à la France….
Pendant la campagne présidentielle, j’ai tenté d’éviter de tomber dans l’anti-sarkozysme primaire. Je me suis refusé par exemple à faire tourner les soupçons de fascisme qui pesaient sur le candidat. Comme ce mail qui résumait les travaux du politologue Lawrence Britt, qui a justement mis en évidence 14 éléments caractéristiques du fascisme. Et dont j’ai trop peur de deviner la présence dans le modèle de société qu’on nous propose. Bien sûr, dans ce 21eme siècle occidental qu’on nous présente comme tellement démocratique, le totalitarisme prend une forme nouvelle et moderne. Elle n’en est pas moins effrayante.
Deux éléments me semblent particulièrement révélateurs d’une certaine dérive. D’abord, la capacité de stigmatiser les boucs-émissaires, responsables de tous les maux de la société : les lève-tard, les assistés, la racaille évidemment, voire les soixante-huitards, ou, mieux encore, les « droits de l’hommiste », appelation méprisante de ceux dont le seul tort est de défendre la dignité la plus élémentaire. Ensuite, vient la fameuse collusion des pouvoirs politiques, économiques et médiatiques, si bien illustrée par les empires Bouygues, Lagardère et Dassault, venus de la puissance industrielle pour s’emparer d’un quasi-monopole de l’information. Qui contrôle ces empires ? Les fils de leurs pères. Des « Fils de » qui confirment bien que la société qu’on nous propose est celle de la transmission des privilèges. Et par conséquent celle du fossé grandissant des inégalités, dans une logique de monarchisation de la société. Sauf que le Roi est aujourd’hui élu. Vive le Roi !
Psychologie électorale
Le magazine « Psycho et cerveau » a réalisé une enquête sur la psychologie des élections. On découvre, sans aucun jugement de valeur à ce sujet, qu’un discours de droite s’appuie en général plus volontiers sur des concepts simples, tandis que le discours de gauche s’appuie sur une argumentation plus complexe en terme socio-économiques. En clair, on parlera plus facilement d’un côté de travail, d’argent, de réussite, de sécurité par exemple, tandis que de l’autre on s’apesantira plus volontiers sur la façon de lutter contre le chômage, ou sur les causes de l’insécurité et ses moyens de prévention.
Partant de là, et en admettant en plus qu’en terme de communication la campagne de Monsieur Sarkozy a été d’une efficacité redoutable, il faut bien dire aussi que son discours bénéficie d’un avantage considérable. Chez les indécis, et plus encore chez tous ceux qui n’ont pas les moyens de construire leur propre réflexion politique, le martèlement de valeurs simples a beaucoup plus d’impact que le maniement de concepts et d’explications complexes. Il est plus facile de vendre une voiture en disant qu’elle est vachement belle et qu’elle roule super vite, plutôt qu’en expliquant que son moteur cinq cylindres développe un couple d’une souplesse rare, et que sa nouvelle injection électronique lui garantit une optimisation permanente de sa consommation pour mieux contribuer au respect de l’environnement…
Le choix des anciens
J’ai mal à la France, aussi, parce que le dernier sondage IFOP, l’un des plus proches du résultat final, nous dévoile que Ségolène Royal arrivait en tête des intentions de vente dans toutes les classes d’âge de 18 à 64 ans. Mais un score énorme chez les plus de 65 ans suffit à Nicolas Sarkozy pour inverser la tendance. Autrement dit, nos chers aînés, qui ont eu la chance de profiter de la période faste des 30 glorieuses, ont choisi pour les autres un modèle de société dont ils ne veulent plus. Autrement dit, une frange relativement favorisée de la population, profitant de retraites dont on ne saura bientôt plus ce que c’est, a choisi ce fameux « travailler plus pour gagner plus », qui ne les concerne pas et dont ne veulent pas ceux qui sont concernés. Autrement dit, cette population qui a grandi dans l’absence totale de conscience écologique, au point de mettre la planète en grave danger, nous propose de continuer sur la lancée et d’accentuer les dégâts. Mais surtout, j’en ai bien peur, cette population-là est celle qui est le plus à même de tomber dans le piège d’une certaine forme de manipulation. En arrivant au Ministère de l’Intérieur en 2002, Monsieur Sarkozy a demandé à son équipe de « fabriquer » une information par jour, dans l’intention d’être présent au journal tous les soirs. Succès garanti. Bien avant la campagne officielle, le mythe de l’insécurité, celui des boucs-émissaires, le culte du travail et de la répression lui ont garanti la sympathie d’un électorat fidèle et décisif. Mais malgré tout le respect que l’on doit à nos anciens, il faut bien avouer qu’ils ne représentent plus les forces vives de la Nation, et qu’il est regrettable que ce soit eux qui emportent la décision. Ça aussi, ça me fait mal à la France…
Finalement, la bonne nouvelle de cette élection, c’est la sensation diffuse qu’est en train de se créer une forme d’élan citoyen. Pas seulement celui dont témoigne le taux de participation. Mais on sent quelque part, justement du côté des forces vives et de l’opposition, une envie nouvelle de s’impliquer dans un combat militant, associatif ou civique. Un désir vif de relancer un lien social, du côté de ceux qui s’inquiètent de le voir se distendre. Il reste à espérer qu’il s’agira d’une réalité durable, plus que d’un feu de paille. L’avenir nous le dira.
On verra demain. Mais pour aujourd’hui, c’est sûr, j’ai mal à la France…
Très mal…