Oteiza, le funambule de la troisième dimension

Oteiza, le funambule de la troisième dimension

Suite à l’exposition organisée par la ville de Biarritz, les éditions Atlantica en publient le catalogue. Une manière raisonnée de nous donner envie. Car Oteiza est un immense sculpteur trop peu reconnu par le grand public. Tentons ici de réparer cet impair …

Si vous n’avez point visité les salles du musée Reina Sofia à Madrid, dédiées aux œuvres d’Oteiza ; si vous ne vous êtes point rendu au musée d’Alzuza, près de Pampelune, voire n’avez jamais contemplé les magnifiques sculptures de la basilique d’Arànzazu, en Guipùzcoa, il vous faut ce livre-là car il résumera en quelques clichés accompagnés de trois présentations détaillées toute l’œuvre de cet immense artiste basque. Car Oteiza est un précurseur, un visionnaire qui a fait naître une forme nouvelle d’art plastique, l’un des guides d’un grand mouvement de création. Il a réalisé beaucoup de petites maquettes dont la perception est souvent délicate ; et, à la fin de sa vie, il en a autorisé quelques agrandissements de certains modèles : l’Hommage à la femme basque qui trône désormais sur la place Bellevue, à Biarritz, face à la mer, est l’unique sculpture monumentale, comme le chef d’une famille qui rappelle qu’Oteiza ne crée pas des pièces isolées mais des éléments d’une série qui est la représentation matérielle d’un concept qui prend une forme différente …

Ces séries expérimentales de recherche esthétiques trouvent leur point culminant lors de leur présentation à la IVème Biennale de Sao Paulo, en 1957 et Oteiza y obtient le Prix international de Sculpture, succédant au suisse Max Bill et l’anglais Henry Moore.

Jorge Oteiza (1908 – 2003)a su construire une œuvre par nature rebelle, subversive, c’est dans sa potentialité à ne pas se donner à voir qu’il faut y puiser cette force toute de légèreté ciselée qui se laisse découvrir dans un subtile dialogue d’échelle, de matière et d’air. Ses statues sont à la fois sereines au sauvages. En un mot, sublimes.

Oteiza travaille à l’intérieur du langage (d’ailleurs on lui doit aussi des écrits d’une grande érudition) en combinant des éléments susceptibles de produire des significations mais en prenant bien soin que rien ne relève de l’ornement. Il définit lui-même sa sculpture comme "un système logique et croissant de formes élémentaires … capables de conjugaison". Il veut, en effet, façonner la figure humaine dans un but bien précis, celui de libérer la statue de sa masse, de tout son poids pour arriver à créer une forme nouvelle, une pièce ultra-légère, une sorte de statue-énergie. Pour arrive à ses fins, il désoriente le cylindre qui serait initialement l’homme pour aller vers l’hyperboloïde, cette figure géométrique dont les centres sont divers et, par surcroît, à l’extérieur de la statue … CQFD. Ainsi détourné, les masses subissent la volonté du maître et la figuration devient abstraction : en perdant de son poids la sculpture n’aura donc plus besoin de matière, sauf à l’héberger le temps d’un moule spatial …
Cette originalité se traduit par un objet fini isolé, silencieux et transcendant. Des premières sculptures où la spatialité et le vide sont le résultat de l’élimination de la matière, aux dernières œuvres expérimentales dans lesquelles il prend le vide comme point de départ, en utilisant des unités formelles légères à partir du cylindre, de la sphère et du cube, il parvient à un espace plus vaste doté d’une plus grande énergie.

En faisant triompher l’espace, Oteiza aboutit à des conclusions qui relèvent de la métaphysique. En effet, en parvenant à vider le cube de son espace il nous livre ses Boîtes vides qui respirent par assemblage dialectique de deux trièdres : le petit cube vide sur l’arête de base au premier plan initie comme prologue la compréhension esthético-religieuse de la sculpture. L’Hommage à Mallarmé (1959) en est la Boîte finale en présentant une plus grand complexité interne …
Ce faisant, toute l’œuvre d’Oteiza se perçoit dans la représentation de l’objet géométrique comme une manifestation concrète des lois métaphysiques mais l’on doit aussi y voir l’expression d’une réalité spirituelle. Car l’art, à travers ses valeurs plastique, politique, éducative et poétique, est bien le seul vecteur d’un possible renouveau spirituel de l’humanité et sa raison d’être consiste aussi à apaiser l’angoisse existentielle qui nous accompagne chaque jour ; ainsi en contemplant une sculpture (en pierre, en bronze, en métal …) d’Oteiza nous plongeons dans un non-espace, un vide palpable qui n’est pas une chute éperdue mais bien un néant réceptif à caractère mystique.

Jean-François Larralde, Pilar Oteiza, Francisco Calvo Serraller, Oteiza – Métaphysique de l’espace, 225 x 225, 74 photographies couleurs, couverture rigide à larges rabats, Atlantica, avril 2007, 107 p. – 20, 00 €