Le Marché de la faim, le début de la fin ?

Le Marché de la faim, le début de la fin ?

Le cinéaste autrichien Erwin Wagenhofer a détourné le slogan de la firme semencière Pioneer (“We feed the world”), titre original de son documentaire, pour lancer une virulente attaque contre les multinationales de l’agro-alimentaire qui mènent le monde à sa perte.

Sur le fond, Le Marché de la faim d’Erwin Wagenhofer ne dit rien de neuf. On sait depuis belle lurette que la richesse des pays du Nord n’est possible qu’en organisant le pillage des pays du Sud. En d’autres termes, notre très confortable train de vie est bâti sur la misère des peuples du Sud. Abondance et gaspillage chez les uns. Malnutrition et mauvais soins pour les autres.

850 millions de personnes sont gravement sous-alimentées sur Terre. Paradoxe édifiant, 70% de ces gens sont paysans... En 2006, le rapport mondial sur l’alimentation du FAO (Food and Agriculture Organisation) a montré que l’agriculture mondiale pouvait pourtant nourrir douze milliards de personnes. Donc le double de la population actuelle du globe. Cherchez l’erreur. La faim n’est donc pas une fatalité. Jean Ziegler, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, affirme sans détour qu’« un enfant qui meurt aujourd’hui de faim est en fait assassiné ».

Erwin Wagenhofer part de chez lui pour étayer sa brutale démonstration. Chaque jour, 20% à 25% des pains cuits dans les fours des grandes chaînes de boulangerie de Vienne sont jetés. C’est l’équivalent de ce qui est consommé à Graz, la deuxième ville d’Autriche. Une partie de ces « déchets » est donnée aux cochons, le reste est dirigé vers des incinérateurs d’ordures.

Les rouages de l’agrobusiness sont meurtriers, générateurs d’injustices sociales et de pollutions sans nom. Arrêt du réalisateur sur Almeria, en Espagne, où des serres s’étendent sur 35 000 hectares pour produire les fruits et les légumes vendus dans les supermarchés européens. Heu, c’est quoi cette boule rouge qui pousse dans de la laine de roche enrichie avec des substances nutritives ? Réponse : une tomate voyageuse sans saveur qui fait 3 000 kilomètres en camions pour arriver dans nos assiettes !

Virée au Brésil, l’un des géants agricoles, qui produit plus de 100 millions de tonnes de céréales par an pour nourrir des batteries de poulets chétifs en Europe. De ce fait, depuis 1975, la forêt amazonienne a perdu l’équivalent de la surface de la France et du Portugal pour développer des champs de soja qui ne profitent pas à la population locale. Sur 181 millions de Brésiliens, 44 millions sont gravement et en permanence sous-alimentés. Une situation totalement insupportable. Et puis faut-il vraiment détruire les forêts primitives d’Amérique du Sud (si indispensables à l’équilibre climatique planétaire déjà très malmené) pour alimenter nos élevages de volailles ?

Le film d’Erwin Wagenhofer est édifiant pour celles et ceux qui ignoraient encore les ravages de l’agriculture industrielle, les dangers des manipulations génétiques, le cynisme des multinationales de l’agroalimentaire, les enjeux des manipulations politiques et financières... Il ne s’agit pas que d’un film supplémentaire sur la « malbouffe ». Wagenhofer veut aussi mettre le doigt sur ce qui fonde la philosophie des adeptes de l’ultra-libéralisme. C’est quoi le libre échange vanté par les cohortes de politiciens véreux ? De quelle « liberté » parle-t-on quand elle concerne le club très fermé des groupes mondiaux qui nous empoisonnent et qui affament les pays pauvres en prétendant nourrir le monde ? Cette « liberté » ressemble en fait à la liberté du loup dans la bergerie...

Exemple avec l’interview de Peter Brabeck, PDG de Nestlé (leader mondial de l’eau en bouteille). Quand il dit « l’eau est une denrée alimentaire et, comme toute denrée, elle a une valeur marchande », nous sommes en droit de protester. Il est temps de stopper tous ces capitalistes prédateurs qui seront bientôt capables de nous vendre l’air que nous respirons.

Au cœur de l’horreur alimentaire, que deviennent le pêcheur de Concarneau, le cultivateur de maïs mexicain, le paysan sénégalais ? Sur 52 pays africains, 37 sont presque exclusivement agricoles. Grâce aux subventions et aux aides à l’exportation attribuées aux agriculteurs des pays du Nord, on vend sur les marchés africains des légumes et des fruits italiens, français, portugais ou espagnols à la moitié du prix des produits autochtones. Les familles africaines peuvent travailler nuits et jours, elles n’arriveront jamais à avoir le minimum vital. Ensuite, il ne faut pas s’étonner si des milliers de jeunes africains, réfugiés de la faim, risquent leur vie dans l’océan pour débarquer en Sicile ou aux Canaries.

Longtemps, les écologistes (au sens large) ont été étiquetés « utopistes » parce qu’ils remettaient en cause la société de consommation en proposant une société alternative solidaire, égalitaire, libertaire, respectueuse des hommes et de l’environnement. En fait, ces écologistes étaient et restent réalistes.

Aujourd’hui, les vrais utopistes sont les apôtres du libéralisme sauvage qui pensent qu’on peut continuer à vampiriser la nature sans menacer à brève échéance toute forme de vie sur Terre. Stop. Nous allons droit dans le mur.

Les humains doivent ouvrir les yeux et vivre autrement en changeant radicalement leurs comportements, en rééquilibrant les rapports Nord/Sud. Il ne s’agit même plus d’un débat idéologique, mais d’une nécessité absolue. Il va donc falloir choisir très rapidement entre deux voies. Laquelle choisirons-nous ici ? La décroissance ou la mort ?

Le Marché de la faim, documentaire d’Erwin Wagenhofer (1h36). Le site officiel du film : http://www.we-feed-the-world.fr/ Vous y trouverez des interviews, des liens et les dates de projections-débats animées par diverses associations, un dossier pédagogique préparé par Zéro de conduite…

En collaboration avec Max Annas, Erwin Wagenhofer sort également le livre Le Marché de la faim chez Actes Sud (192 pages). 20€.

On peut lire aussi le livre de Jean Ziegler, L’Empire de la honte, aux éditions Fayard (2005, 323 pages). 20€. C’est l’ouvrage qui a inspiré le film d’Erwin Wagenhofer.