Collection ikko

Le premier dit : « Si l’homme n’est pas une production Végétale, c’est du moins un Insecte qui pousse ses racines dans la Matrice, comme le Germe fécondé des Plantes dans la leur. »
Le second dit : « Comme s’il fallait que l’autre soit aveugle pour que j’en sois voyant. »
Le troisième dit : « Là où le genre humain s’est mis des hémorroïdes, / Des millénaires assis sur des ressorts de guerre, / Je vous dirai ce que je sens du futur poindre, / Mes songes transhumains. »
Le quatrième dit : « Il y a dix mille fois plus de choses, de choses vraies, dans le cri d’un cochon que dans toutes les conversations. »
Et le cinquième dit : « Je suis un trou avec du drame dedans. »

Julien Offray de La Métrie, Jean-Luc Parant, Vélimir Khlebnikov, Christophe Chemin, Charles Pennequin. Ecrivains, scientifiques, poètes, artistes. Qu’ont en commun ces cinq auteurs ?

Chacun, dans son époque et sa discipline, pense par lui même, ne s’interdit aucune interrogation, ne se donne aucune limite dans sa quête hardie : comprendre l’être humain. Ainsi sont liés le futuriste russe du début du siècle, le médecin philosophe du XVIII ème, le sculpteur auteur contemporain, poètes et romanciers actuels.

C’est de cette volonté de créer des ponts entre les âges, entre les disciplines et entre les cultures qu’est née la nouvelle collection ikko.

Antoine Dufeu et Christophe Manon nous invitent à développer notre curiosité, à faire l’effort de comprendre, et d’apprécier des textes parfois ardus qui sont voluptueusement savoureux une fois qu’on les a déchiffrés. Antoine Dufeu précise avec véhémence qu’il ne s’agit pas de pré-consommable, et il rappelle ainsi l’origine du nom de la collection : ikko est un terme japonais qui signifie l’action dans l’effort. Ils rejoignent par là la pensée de Paul Valéry, confessant dans ses écrits sur Mallarmé : « La facilité de lecture est de règle dans les Lettres depuis le règne de la hâte générale. Tout le monde tend à ne lire que ce que tout le monde aurait pu écrire. (…) Quant à moi, je le confesse, je ne saisis à peu près rien d’un livre qui ne me résiste pas. »
Ces petits livres nous résistent, et aucune note explicative ne se dresse devant nous pour nous éclairer. Il ne s’agit pas d’ouvrages de références, précise Christophe Manon. L’ambition est de donner à penser, de créer l’envie, de susciter la curiosité. Les ouvrages sont petits, pratiques : ils sont le point de départ de recherches plus vastes, de réflexions plus amples que chacun pourra développer par soi-même.

Autrement dit, on pourrait justifier cette collection par le vide qu’elle met en valeur.
Lao Tseu, lorsqu’il demande à quoi sert une cruche, nous démontre que c’est le vide qu’elle contient qui lui confère son utilité. De même, ikko révèle des creux, des vides, dans un monde littéraire pourtant gavé, saturé.
Saturé de conneries essentiellement. « La plupart des livres sont vides, ils ne contiennent pas un gramme de pensée » s’exclame Antoine Dufeu, rejoignant là Christophe Chemin pour qui les ouvrages qui sortent ne sont que des répétitions inlassables des mêmes idées creuses et banales compilées et rafraîchies pour faire du chiffre chez les éditeurs. L’auteur a même une idée géniale : « L’idée, ça serait, pour masquer toute l’odeur de merde de ces sales bouquins remplis de phrases merdiques qu’ils publient, et bien de parfumer le papier… » Pas la peine de vaporiser du Wizzard sur les livres d’ikko : leur contenu suffit à réjouir nos papilles.

Car il ne faut pas oublier le plaisir : plaisir de redécouvrir des textes oubliés dont la pertinence actuelle est indéniable, plaisir de lire des contemporains qui, par ailleurs, ne se font pas entendre, plaisir, enfin, de lire des traductions inédites, et de pouvoir lier ces ensembles de réflexion afin d’en tirer des interrogations globales, universelles.
L’effort peut, doit, être intimement lié à cette joie sans laquelle la littérature n’est rien.

Décloisonner les disciplines, ouvrir sur d’autres horizons spatiaux et temporels, voilà donc l’axe de la collection incarné dans les cinq premières publications :

 Son nom est presque oublié mais sa pensée est fondatrice des temps modernes : Julien Offray de la Mettrie, né en 1709, médecin de formation. Dans « L’homme-Plante » il nous décrit dans ses moindres détails l’analogie entre l’homme et la plante.

 Ikko nous propose de découvrir également quelques-uns des poèmes du génial Khlebnikov, poète russe (1885-1922) fondateur du Futurisme, avec « L’univers enfoncé », dans une traduction inédite de Catherine Prigent.

 Le roman illustré « Le Roman est une bagnole qui roule bien » du jeune romancier Christophe Chemin, est le cri touchant d’un écrivain en crise avec la société.

 Charles Pennequin, né en 1965 à Cambrai (Nord), nous offre « Bine », poèmes à biner en toutes circonstances. Débinage assuré.

 Puissante, obsessionnelle, la poésie de « Comme si le cillement des yeux » de Jean-Luc Parant entraîne le lecteur dans une danse infinie, rituelle, qui le laissera saoul, rempli de matière et d’images d’un monde à ressentir, à retrouver au rythme des pulsations d’une langue tourbillonnante.

Chaque auteur publié chez ikko va au bout de ses recherches et, les assumant, les transforme en quête universelle. D’accord, pas d’accord : au moins, le lecteur est confronté à de véritables points de vue qui osent encore la critique, et qui, s’exprimant librement, peuvent se débarrasser des clichés habituels.

Mais, si les auteurs regroupés ont comme point commun d’interroger le monde, et souvent de s’engager, il ne s’agit pas pour autant d’une collection dédiée exclusivement aux pamphlets, ni aux réactionnaires. Même si, avec Gide, l’on peut toujours penser que « dans notre forme de société, un grand écrivain, un grand artiste est essentiellement anticonformiste »*, s’ils naviguent aussi à contre-courant, les auteurs publiés chez ikko sont des bâtisseurs, autant que des critiques. Antoine Dufeu insiste sur cette notion de construction : il s’agit de se poser les bonnes questions pour agir, réagir, pour progresser. Ikko n’est surtout pas une collection de spéculations pures. C’est un ensemble de propositions, et le terme japonais, s’il indique parfois l’effort, peut être compris également comme un cri de ralliement équivalent à un « on y va ! » français particulièrement tonique.

Voici donc une collection vivante, mutante comme la pensée, rapide et surprenante.

* André Gide, « Retour d’URSS », Gallimard 1936
* Paul Valéry, « Je disais quelque fois à Stéphane Mallarmé… », Variété III, Gallimard, 1936

ikko, le corridor bleu - 25, rue Jacques Louvel-Tessier - 75010 Paris

* André Gide, « Retour d’URSS », Gallimard 1936
* Paul Valéry, « Je disais quelque fois à Stéphane Mallarmé… », Variété III, Gallimard, 1936

ikko, le corridor bleu - 25, rue Jacques Louvel-Tessier - 75010 Paris