Olivier Allemane sérigraphe le monde !

Olivier Allemane sérigraphe le monde !

Peut-on faire de la sérigraphie sur des tranches de jambon ? Imprimer au ketchup ? Comment devenir la référence absolue ? Pourquoi se contenter du monde tel qu’il est alors qu’on le voudrait idéal ? Est-il encore possible de faire rêver les gosses ?

En naissant, Olivier Allemane a été pris en charge par un mauvais tour operator. A moins qu’il ne soit resté à l’agence de voyage, assis à regarder les catalogues où corps, femmes, enfants s’ébattent dans une nature plastique, des mers transparentes proches d’un ciel idyllique.

Tel l’homme à la redingote de Caspar David Friedrich, Olivier contemple le monde depuis la nationale 20, transformée en pic rocheux pour l’occasion. Fasciné, il regarde passer les caravanes transportant des hordes de familles heureuses vers des hordes de plages merveilleuses. Pour des souvenirs parfaits, un album de famille irréprochable.
Il a cerné son problème. L’a nommé. Maintenant, il le règle. Souvenirs de rêves, souvenirs d’absence de souvenirs…

Un coin de canapés, des gens en maillot de bain sur la plage, pots de fleurs, quais de gare : métro boulot dodo 35 heures. Sur des tissus en solde du marché saint-Pierre, imprimés en sérigraphie, rehaussé d’acrylique, Olivier Allemane joue les super héros. A partir de scènes quotidiennes d’un banal affligeant, il crée un monde magique aux couleurs fluorescentes, aux formes évanescentes et à la simplicité désarmante, troublante.

Aventurier inventif, Olivier Allemane a choisi la sérigraphie et il joue les surimpressions, travaille les contours avec des ombres et des couleurs dégradées, suggère le dessin par la superposition de couleurs d’une intensité inégalable.
Du latin sericum, "soie" et du grec graphein, "écrire", la sérigraphie est un procédé d’impression utilisant un écran de soie qui laisse passer l’encre à travers certaines mailles (celles qui n’ont pas été obstruées d’après le motif à reproduire). Ce procédé est capable d’imprimer de nombreuses matières : papier, carton et tissus, mais aussi plastiques, métal, bois, verre ou céramiques. Comme un fou joyeux, l’artiste cherche inlassablement des rendus de textures, de matières, des couleurs, afin d’explorer à l’infini les possibles de cette technique particulièrement souple.
Il travaille avec trois couleurs : jaune, rouge et bleu. Il a abandonné le noir pour un brun sombre, moins agressif. Car Olivier n’aime pas l’agression. Même si ses couleurs sont extrêmement vives, elles n’irritent pas. Ceux sont les lumières de la ville, les enseignes colorées au moment de noël, les manèges illuminés.

Ses rares figures humaines n’ont pas de visages, mangées par la couleur, par la matière. Tellement maquillée qu’elles disparaissent, cessent d’être. Paillettes de Walt Disney, d’un monde artificiel, cachant un monde morne. Couches successives pour tenter de dissimuler la médiocrité, comme les couches de couleurs qu’il imprime, enrichies de peinture, retouchées de brillant qu’il saupoudre comme un bon dieu avec une grosse salière. C’est la salière magique qui fait les miracles, et les mirages.

A l’aide d’un coton tige de prestidigitateur, Olivier maquille la réalité, l’embellit, la pare de brillance et de lumière. Il dénonce ainsi le mensonge permanent du monde réel, le bluff de ces images délétères que sont ces clichés du bonheur parfait, familles réunies, charmants pavillons aux intérieurs enchanteurs.

Mais s’agit-il, en fait, de dissimulation ? Les décors, scènes représentées, ainsi mises en valeur, ne rayonnent-t-ils pas de tous leurs feux ? Si, comme Baudelaire, l’on pense que « l’artifice n’embellit pas la laideur et ne peut servir que la beauté »*, il faut admettre que le monde peint par Olivier Allemane, bien qu’apparenté à Walt Disney et à toutes les duperies qui s’en suivent, n’est pas dénué de charmes.
Ces canapés, sacs à main et papiers peints quotidiens, transformés par Olivier, sont loin de nous plonger dans un monde faux et vulgaire. Nous sommes dans un monde sensible où la rêverie a tout à fait sa place, et si l’on peut parler d’esthétique pop art dans ce choix thématique du quotidien, et le traitement des couleurs, la comparaison s’arrête là. L’objet n’est pas montré en tant que tel. Il est investi de sens, empreint du regard d’un artiste émerveillé, gourmand et inventif. Au contraire de revendications pop art, il n’y a pas d’exaltation de « la vie réelle ». L’objet, ou la scène quotidienne, sont belle et bien isolés, exhibés en gros plan, mais ce réel est transfiguré.

Il y a une force extraordinaire dans la simplicité des sujets, et dans leur mise en scène. Une table, deux ou trois chaises couchées sur un grand format, deux teintes uniquement. Là on l’on attend du plein : d’immenses taches blanches, du vide. Cette inversion des habitudes nous pousse à porter un nouveau regard sur notre environnement familier. Comme ces toiles où seuls les canapés sont nets, tandis que le monde s’estompe dans un flou vaporeux. Finalement, le monde réel n’est-il pas un peu tel qu’on le veut, qu’on le regarde ?

Avant tout, Olivier Allemane se fait plaisir : c’est à peine s’il ne se lèche pas les babines quand il raconte ses trouvailles, ou son travail.
Ainsi, rien de vraiment cynique. Encore moins de pessimisme. Sans doute parce qu’Olivier croit encore à ses rêves, rêves d’absolu, de sublime. Comme quoi, il n’a pas encore réglé son problème. Tant mieux : on va encore pouvoir en profiter. Je crois surtout qu’il aime se, nous, raconter des histoires, beaucoup d’histoires pour rêver, encore.

Olivier Allemane publie lui-même de nombreux livres d’images, textes, autant d’invitations à l’ailleurs. Où ? N’importe. Une fois l’œuvre achevée, elle est abandonnée, ouverte, livrée aux autres, à nous. Lui, il part déjà, plus loin.
La galerie présente quelques-uns de ses travaux. Sont regroupés par exemple des dessins qu’il créés lorsqu’il est au téléphone : imbroglios de lignes, figures abstraites, coups de crayon nerveux, arrondis sensuels… ou comment faire exploser une facture France Télécom tout en poésie...

De nombreux ouvrages au tirage manuel et limité à sortir très prochainement.

*Baudelaire : Eloge du maquillage, Le Peintre de la vie moderne.

Olivier ALLEMANE « A demain les amies »
Galerie Déon-Mayer, 115, rue Vieille du Temple - 75003 Paris
Jusqu’au 26 avril 2003

*Baudelaire : Eloge du maquillage, Le Peintre de la vie moderne.

Olivier ALLEMANE « A demain les amies »
Galerie Déon-Mayer, 115, rue Vieille du Temple - 75003 Paris
Jusqu’au 26 avril 2003