Entretien avec Gaspard-Hubert Banacek Lonsi Koko

Entretien avec Gaspard-Hubert Banacek Lonsi Koko

Gaspard-Hubert Banacek Lonsi Koko vit à Paris depuis 1983.
Il est cadre du Parti Socialiste français.

Par ailleurs, il préside depuis le 3 juillet 2003 le club de réflexion Enjeux Socialistes et Républicains. Cette association, régie par la loi française du 1er juillet 1901, rassemble des adhérents et des sympathisants socialistes d’origine non européenne en vue de leur implication dans la vie socio-politique en France.

En tant qu’homme de lettres, G-H. Lonsi Koko collabore avec quelques publications étrangères, dont le Magazine Partenaire Économique International basé au Québec.
Il est aussi auteur de plusieurs livres dont Drosera Capensis.

Entretien avec un homme passionnant et passionné.

1. Bonjour Gaspard-Hubert. Vous êtes né à Léopoldville, en République Démocratique du Congo. Vous êtes l’auteur de plusieurs livres dont au moins un raconte l’itinéraire d’un demandeur d’asile. L’image de marque de la France est-elle en total décalage avec celle que s’en font les immigrés africains ?

Il est vrai que la plupart des Africains considèrent la France comme le pays par excellence des droits de l’Homme et du Citoyen. Cette considération est due aux valeurs qu’une certaine France a toujours, à juste titre, défendues : la Liberté, l’Egalité et la Fraternité, auxquelles il faudrait ajouter la Solidarité et la Justice sociale.

Pour échapper à la misère et aux régimes répressifs qui hypothèquent leur existence, certains Africains prennent, dans des conditions parfois kafkaïennes, le chemin menant vers « ce probable havre de paix », vers « cette supposée terre d’asile ». Malheureusement, ils finissent par tomber de Charybde en Scylla. Un proverbe congolais dit que « le ciel touche la terre à l’horizon ».
C’est pour dénoncer les dysfonctionnements du droit d’asile en France et fustiger la connivence qui existe entre les pays occidentaux et les régimes dictatoriaux d’Afrique que j’ai écrit « Le demandeur d’asile ». Dans cet ouvrage, j’entraîne le lecteur dans le labyrinthe qu’empruntent les candidats au statut de réfugié.

2. Votre nouveau roman « Drosera capensis » se situe en pleine région périgourdine. Vous y décrivez une bourgeoisie qui refuse encore, à l’heure actuelle, de se mélanger avec des personnes qui n’appartiennent pas à sa classe. Comment avez-vous procédé pour l’observer d’aussi près ?

Comment ai-je procédé pour observer d’aussi près cette bourgeoisie en proie à la sclérose ? La curiosité apprend. Le Périgord est l’une des régions de France que je connais les mieux. J’y ai beaucoup d’amis. Il m’est arrivé, tel un caméléon, d’entrer en tapinois dans la vie d’un bon nombre de Périgourdins d’excellente famille. Cette discrétion m’a permis de voir sans être vu. « Drosera capensis » n’est que le résultat d’une période de ma vie riche en papillonnage et en rencontres.

C’est plus par snobisme, voire par boulimie d’aisance matérielle, que Germaine Payzac refuse de cohabiter avec des personnes de condition modeste. Elle est de ceux qui pensent que « l’eau va toujours à la rivière ». Pour ne plus sombrer dans la galère connue étant jeune, elle a fait le choix de fréquenter ce milieu bourgeois qui se multiplie dans une société dont le territoire sentimental est bien balisé. Après tout, le confort n’a jamais exclu l’amour.

« Drosera capensis », indépendamment de la conception sociale d’une minorité bourgeoise du Périgord, c’est aussi une chronique sur l’évolution des mœurs. Dans une société en pleine mutation, il est aussi du devoir d’un écrivain de prendre position, d’une manière ou d’une autre, sur quelques faits sociétaux. Voilà pourquoi, dans cet ouvrage, j’ai fait le choix de poser mon regard sur certaines pratiques sexuelles et d’autres fantasmes que d’aucuns n’osent avouer ouvertement.

3. Bien que le titre évoque une plante carnivore, l’intrigue du roman se déroule très lentement comme une araignée tisserait sa toile. Chaque personnage est mis en scène minutieusement. A quel acteur de cette histoire avez-vous donné la vie en premier ?

L’intrigue a été construite autour de Germaine Payzac, celle que d’aucuns ont surnommée « drosera capensis ». Cette hédoniste est d’ailleurs mon personnage préféré. Elle symbolise à merveille l’épicurisme.

J’aime bien la métaphore de l’araignée que vous utilisez. Le plus gros effort que cet animal fournit consiste à tisser sa toile. Une fois ce gros ouvrage achevé, elle attend peinardement que les insectes viennent se perdre dans le piège tendu. Mais l’araignée, elle-même, a intérêt à ne pas trop s’approcher des feuilles en rosette du droséra qui risquent de l’engluer grâce à leurs tentacules. C’est malheureusement ce qui est arrivé à Pierre-Antoine Rouffignac.

4. A plusieurs reprises, vous citez des proverbes africains. Pourtant l’Afrique n’a aucun lien avec le scénario. Pourquoi cette volonté de l’y mêler ?

Le Périgord noir y est peut-être pour quelque chose. Ne désigne-t-on pas la Dordogne comme « le Pays de l’Homme » ? J’ai constaté seulement que les êtres humains disent différemment la même chose. Quand l’Africain affirme que « le veau prend toujours la couleur du taureau », le Français vous fait savoir que « tel père, tel fils ». Il est vrai que j’ai souvent tendance à recourir aux proverbes comme les Romains lançaient la catapulte. Ce sont les séquelles de ma culture orale, de mes origines bantoues.

Les proverbes me permettent dans la vie quotidienne, tel un bon jésuite, d’avancer précautionneusement sur un terrain miné, de survoler à basse altitude une zone truffée de radars. En littérature, les proverbes participent de cette acrobatie verbale qui permet, de manière métaphorique, à l’écrivain émerveillé d’offrir le meilleur de lui-même au lecteur.

5. Est-ce que vous avez étudié le profil psychologique d’une femme telle que celle que vous décrivez dans votre roman pour mieux pouvoir l’évoquer ?

Je suis issu d’une société matriarcale. J’ai grandi au milieu des femmes qui ont toujours bercé ma vie. Je leur dois beaucoup, notamment la patience et le sens de l’observation. Le X qui est en moi m’incite peut-être, dans certaines circonstances, à envisager la société sous le regard féminin. A moins que ce soit un subterfuge momentané pour mieux brouiller les pistes.

J’ai voulu aussi montrer qu’il n’est pas forcément facile d’être une femme libérée, que le passé rattrape toujours l’individu qui essaie de l’oublier. Les Africains disent que l’on finit par payer la dette envers le sommeil.

6. Dans la réalité, les amours sont-elles toujours aussi compliquées ou votre livre n’en est que le pâle reflet ?

Un ami me faisait remarquer que le couple est un échec permanent. Très souvent les parents boivent, et les enfants trinquent. Cela résume parfaitement la situation dans laquelle s’est retrouvée, en fin de comptes, Germaine Payzac.

En amour, on n’a pas souvent ce que l’on veut. Sa complexité fait que la personne que l’on aime ne vous aimera pas forcément, et celle que l’on fuit vous cherchera partout. L’amour est aussi paradoxal car il est fatigant d’aimer et laborieux d’être aimé. Mais force est de constater que cette « complexité paradoxale » contribue souvent à son charme. Le « sophisme aragonesque » selon lequel il n’y a pas d’amour heureux me conforte dans l’idée que les humains sont conçus pour s’aimer. Le pari, en amour, c’est de parvenir à prolonger le rêve le plus longtemps possible pour mieux noyer la réalité. C’est la seule façon de tendre vers l’idéal.

7. Que vient faire le passage à tabac d’un ressortissant africain par des policiers français dans cette histoire ?

L’écrivain que je suis est aussi, dans sa vie privée, un militant engagé. Ce passage à tabac renvoie tout simplement à certains moments désagréables familiers à une partie de la population. On pardonne, mais on n’oublie pas ce genre d’humiliations. Dieu sait que, en ce début du troisième millénaire, certaines personnes, encore attardées en matière de cohabitation humaine, ne cessent de diaboliser l’autre du fait de sa race, de ses origines, de son sexe ou de son rang social. Je suis partisan de « la pluralité dans l’unité », facteur fondamental dans la consolidation de la cohésion nationale. La diversité enrichit.

8. Pensez-vous réellement que « La solidarité humaine doit prendre le dessus sur certaines attitudes tendant à vilipender, dans nos pays occidentaux, les minorités visibles » ? Quelles seraient vos solutions pour que cela change ?

Parler de « solidarité humaine » est la preuve même qu’il existe des inégalités et des injustices. Aujourd’hui, force est de constater que c’est la communauté majoritaire qui discrimine. Il est inacceptable que les valeurs républicaines servent à exclure certains de nos concitoyens.

La meilleure chose qu’un être humain puisse faire, c’est de participer à l’autonomie et au bonheur de son semblable. L’amélioration matérielle et morale, j’en suis convaincu, ne peut que perfectionner intellectuellement et socialement l’humanité. Voilà pourquoi la tolérance mutuelle doit être un très grand devoir. Alors, faisons en sorte que le mérite et la compétence deviennent les critères nécessaires à la gestion de la chose publique.

9. Parallèlement à votre écriture, vous venez de créer votre propre maison d’édition. Pouvez-vous-nous en dire un peu plus ?

C’est une merveilleuse aventure que deux amis et moi-même essayons de vivre à travers la création de cette maison d’éditions. Personnellement, j’ai toujours aimé les livres. Leur présence me rassure. Nous espérons découvrir de nouveaux talents et les promouvoir dans la mesure du possible. Notre maison d’éditions a vocation à publier les auteurs qui, indépendamment du genre littéraire et du domaine abordé, ont des convictions. Nous nous intéressons aux auteurs qui écrivent sur les questions internationales, les problèmes de société et les sujets d’actualité.

10. Je vous laisse le mot de la fin, Gaspard-Hubert...

L’écrivain au fond un tout petit peu libertaire et à tendance jaurésienne que je suis s’insurge volontiers contre les abus et les actes discriminatoires, voire d’exclusions. Il refuse d’utiliser sa plume au détriment de la bonne cause. Il espère fustiger la médiocrité humaine. Son devoir et son utilité, c’est de faire tomber les tabous, de faire trembler les barreaux derrière lesquelles est enfermé l’universalisme.

Drosera Capensis de Gaspard-Hubert Lonsi Koko aux Editions de l’Egrégore, 16 € 50

Site de l’auteur