Pierre Riant, la voix Pacifique de la France

Pierre Riant, la voix Pacifique de la France

Ça file à une allure... Il y a déjà plus d’une vingtaine d’années que Pierre a quitté Marseille pour l’Australie ! Je crois me souvenir qu’à l’époque il avait voulu suivre une femme, mais je ne suis plus très sûr... Il revient au pays tous les deux ans et depuis toujours, entre temps, nous nous écrivons. Aujourd’hui, nos lettres voyagent par mail, en quelques secondes. "Ce qui est bien avec la rapidité du courrier électronique, c’est l’impression que tu habites au coin de la rue, si seulement c’était vrai... "

C’est ce qu’il m’écrit aujourd’hui, ainsi que pas mal d’autres choses, qui m’a donné envie de vous faire connaître ce garçon formidable. Avec son autorisation de piocher dans sa lettre, qui m’était d’abord destinée. "J’aime beaucoup ton idée, vraiment, d’un article à deux plumes. Et, c’est vrai que cette émission est écoutable en France et ailleurs."

L’émission dont il parle, c’est la sienne, car Pierre est devenu un homme de radio. D’abord passionné de musique et papa d’une émission de rock, traduite en huit langues et transmise sur plusieurs continents si je ne m’abuse, qui lui valut deux récompenses internationales, en 1987 et 1988, pour "excellence dans les arts et les sciences" dans les catégories Radio et Télévision. Salette ! Il fréquente AC/DC, Midnight Oil et consorts et milite avec eux, oeuvrant pour faire connaître le rock aborigène débutant.

De grands concerts sont organisés dans le désert, et rassemblent des milliers de personnes au son de "Warumpi Jo", dans la lumière des groupes électrogènes. Je me souviens que nous avions pensé un temps faire jouer ces groupes de sauvages en France...doux délire !

Mais la radio, pour une grande gueule comme Pierre, c’est surtout l’occasion de l’ouvrir. Trop fort ! Essais nucléaires français, massacres de Nouméa... Pierre croit pouvoir dire la vérité aux populations concernées, loin de la parole officielle de la France et du "silence radio" - histoire de faire un jeu de mots - que la maison mère entretient sur place. Pour faire court, c’est panpan-cucul... et Pierre perd son émission dans la bataille !

Après des lustres de galères diverses, croyant devenir auteur, traducteur ou bistrotier selon les jours, puis victime de sa santé, renaissant enfin avec le bonheur de mettre au monde une petite fille, Pierre renoue avec la radio l’année dernière, parce qu’on revient le chercher. Les temps ont peut-être changé, le fait est que ça voix manque, il connaît le plaisir de se l’entendre dire.



Son émission s’adresse en priorité aux populations francophones des îles du Pacifique. Sa voie surfe d’île en île, touchant des millions de personnes, ces gens parfois réunis autour du seul poste du village. Et c’est reparti comme en quarante...

"Pendant les heures à la radio, j’ai l’impression de ne rapporter que des horreurs : des enfants de 18 mois violés par des jeunes aborigènes qui inhalent des vapeurs d’essence toute la journée et se dessèchent le cerveau, des gens tués à coups de machette au Timor Leste pendant que le Premier ministre arme des commandos d’assassins pour se débarrasser de ses adversaires, le ministre de la police des îles Salomon incarcéré pour avoir incité aux émeutes qui ont massacré la communauté chinoise et le Premier ministre australien qui fait passer une nouvelle législation du travail qui me rappelle le XIXe siècle".

C’est ce que disait sa lettre, avant que je lui propose mon idée d’article.

"Si l’article voit le jour, l’aspect suivant devrait être mentionné : les îles francophones, (Nouvelle-Calédonie, Vanuatu, Wallis et Futuna, Polynésie Française) sont entourées d’îles anglophones et toute la presse (française) leur parle des grèves de la SNCF ou de la dernière vanne de Sarko. Pendant ce temps, les communautés indigènes francophones ne savent pas que des mercenaires fidjiens ont débarqué en Papouasie Nouvelle-Guinée pour faire tenter de faire sauter le gouvernement autonome de l’île de Bougainville. Seul 24H dans le Pacifique les informe de ce qui se passe à côté de chez eux."

Ben oui, Pierre, c’est ce que je dis ! C’est ton mérite.

"En plus, en ce moment, je vis dans une zone semi-opaque. Je m’intéresse au foot tous les 4 ans et avec le décalage horaire, les rencontres de la Coupe du Monde sont diffusées à minuit, 2 heures et 5 heures du matin. Comme j’ai un grand écran, des gens passent. Au lieu de boire mon café le matin, je m’envoie des bières en insultant l’écran et des Hollandais qui ne m’ont pourtant rien fait. Et après je pars au travail, au radar. C’est l’une de mes seules obligations, être à la radio de telle heure à telle heure et cherchez la pitchoune à la crèche. Après, c’est le grand écran. le XIXe siècle. Alors je rentre chez moi et les traductions de Bakowski (un excellent poète australien que Pierre Riant veut à tout prix faire connaître NDLR) mettent un peu de baume. J’ai aussi envie de traduire en anglais un éditeur belge qui m’amuse : "Les gens sur la plage voyaient arriver le gros nuage d’un fort mauvais œil. Lui, débonnaire, les surprit en passant derrière le soleil." Ou : "S’il y a des toiles d’araignée sur ta photo, ce n’est pas que je ne pense pas à toi. C’est qu’il m’arrive de penser à l’araignée." Après, je vais chercher ma fille et je fais ma provision de bière pour le match Australie-Japon. Mais c’est vrai ce que tu dis, j’ai pris ma vitesse de croisière et je suis assez content de me replonger dans le journalisme, surtout dans le Pacifique Sud. J’apprécie le minuscule pouvoir, celui de décider ce qui passe à l’antenne. Je prends plaisir à parler d’un petit paysan qui se plaint que les cendres d’un volcan lui ont pourri son lagon ou d’un chef coutumier qui a donné 30 cochons lors d’une cérémonie de pardon, plutôt que du sommet du G8 à St Petersbourg. Je préfère parler d’une invasion de crapauds géants en Papouasie Nouvelle-Guinée. Bref, la radio ça roule."

Tant mieux ! C’est pour en parler le mieux possible que j’expose sur le web ces mots qui m’étaient réservés, je ne suis pas jaloux qu’on t’écoute !

"Je reçois par exemple pas mal de courrier de France et d’Europe, notamment de Hollande qui compte pas mal de réfugiés du Timor Oriental. Sans parler de cette dame de Wallis et Futuna qui, après des études en France, s’est installée à Bordeaux et pour qui 24H dans le Pacifique reste son seul lien avec sa région. J’allais oublier Gonfaron où sur la place du village mes parents, auditeurs fidèles, branchent les habitants sur les îles Salomon et le roi de Tonga à l’heure de l’apéro."

Je connais tes parents et croyait te connaître, mais ce qui m’a étonné, c’est que tu me parles de foot ! Ça méritait que je te pose la question, tu y as répondu...

"Je crois que tu me connais suffisamment, en revanche c’est plus difficile d’imaginer ce que l’autre ressent en vivant sur une île-continent au bout de l’hémisphère Sud. Le côté insulaire de la chose, le sentiment d’isolement. Ainsi, une fois tous les quatre ans, j’ai l’occasion de voir des Ghanéens qui regardent des Ukrainiens dans le blanc des yeux en Allemagne. Alors fuck l’insularité et vive la Coupe. D’un autre côté, je peux encore te surprendre. En ce moment précis, je me suis mis un cd de Françoise Hardy, j’écoute de la musique "saoule" ."

Effectivement. Rassure-moi vite !

"Autre aspect, pour la première fois de toute l’histoire un très bon groupe de reggae du Vanuatu, les Sunshiners ont entrepris, le mois dernier, une tournée en France. Seul Gonfaron le savait !

Voilà donc des nouvelles du front australe, continue de me tenir au courant, c’est un coin de ciel bleu ici. Tu diras à ton éditeur que c’est une tête de muge car j’attends toujours, avec impatience, ta BD.

Caresses à Saucisse, cageot de bises à ta belle."

Ecouter Radio Australia sur le web

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