Interview exclusive de Jack Lang

Interview exclusive de Jack Lang

Jack Lang, quoi qu’on en dise, qu’on l’aime ou qu’on le déteste aura marqué le siècle politique français et le poste de ministre de la Culture.
Ce visionnaire doté d’une intelligence rare de la situation et d’un vrai sens de la communication a imposé sa patte et son style pour devenir un des hommes politiques préférés de notre pays.
Désormais Jack Lang est sur le net et blogue avec les jeunes, ce qui a dynamisé sensiblement les adhésions au PS.
Jack Lang sera peut-être un jour Président de la République et en attendant il répond, non sans humour, à la plus curieuse et décalée de nos chroniqueuses du Mague ; Claire-Lise Marso dans un dialogue très constructif qu’on ne lit pas dans la Presse traditionnelle.

1. Bonjour Jack Lang. Vous êtes né en 1939 à Mirecourt, petite ville des Vosges, capitale de la dentelle et des violons. Qu’évoque pour vous l’expression « pisser dans un violon » ? Etes-vous coutumier du fait ?

Cette expression ne m’est pas familière, je ne l’emploie pas la trouvant un tantinet vulgaire. Il est souvent de bon ton d’accoler aux hommes politiques l’image de beaux parleurs qui préfèrent la forme au fond. Je n’échappe bien sûr pas à cette étiquette. Mais force est de constater que, régulièrement, les questions des journalistes n’invitent pas à des réflexions poussées et des discussions approfondies. La période politique actuelle en est le parfait exemple. Alors que le Parti Socialiste travaille sur la construction de son programme, que plusieurs des candidats proclamés, dont je fais partie, réclament des débats publics sur les idées, les médias ne cessent de nous interroger sur les sondages et sur des questions de personnes. Cela est dommage pour les citoyens qui s’intéressent bien plus à la portée des idées qu’aux querelles de chapelle.

2. « Nous ne recherchons pas le pouvoir pour le pouvoir mais pour changer la vie, la société » Ce sont vos mots. Vous parlez de vous à la troisième personne ou le « nous » désigne les hommes politiques ?

Votre nom est définitivement associé à la Fête de la Musique. Je me souviens de votre présence à des manifestations artistiques où l’on parlait plus de vous que du Ministre de la Culture actuel. Comment faites-vous pour ne pas que votre ego prenne toute la place dans le miroir ?

Ce "nous" désigne, bien sûr, les hommes politiques, en tous les cas, certains d’entre eux, d’autres n’hésitant pas à clamer haut et fort qu’ils n’ont d’autre ambition que le pouvoir. Je vous remercie d’ailleurs de citer cette phrase, elle résume parfaitement mon engagement auprès des Français et mon ambition pour 2007. Nous avons besoin d’un véritable changement de notre société, d’une révolution pacifique pour améliorer la vie de nos concitoyens.

Sur les questions d’ego, sur le fait de ne pas se laisser dépasser par celui-ci, chacun d’entre nous le vit quotidiennement. Je n’échappe pas à la règle. L’ego est un élément important chez les hommes politiques, il faut nécessairement s’appuyer dessus pour défendre avec force ses convictions. Humainement, il n’y a pas de raison de bouder son plaisir lorsque l’on réussit à mener au bout un projet pour lequel on s’est battu becs et ongles. Mais la politique est aussi une grande école de l’humilité, notamment face à la détresse que vivent certains de nos concitoyens et qui nous montre dramatiquement le chemin qu’il nous reste à parcourir pour un monde plus égalitaire. J’espère refléter l’image d’un homme pour qui les combats collectifs sont plus importants que les ambitions personnelles.

3. Eric Zemmour dans son livre « Le premier sexe » suggère que si Ségolène Royal pour la gauche et Michèle Alliot-Marie pour la droite se retrouvent femmes candidates pour les présidentielles (ou en passe de le devenir) c’est tout simplement parce qu’aucun présidentiable ne s’impose vraiment. A votre avis ?

Eric Zemmour semble sous-entendre que ces deux femmes politiques ne pourraient devenir candidates à l’élection présidentielle qu’en raison de l’absence d’hommes politiques qui se détachent. Je ne partage pas son analyse. Les mentalités ont beaucoup évolué dans notre pays et les femmes sont jugées par nos concitoyens tout aussi crédibles que les hommes. Le Parti Socialiste se bat pour la parité depuis longtemps et nous proposerons autant de candidates que de candidats aux élections législatives de 2007. Ségolène Royal et Michèle Alliot-Marie peuvent légitimement se porter candidates au sein de leur formation politique respective pour les élections présidentielles. Mais en ce qui concerne le vote interne au Parti Socialiste, les militants trancheront avant tout sur les idées et la capacité à porter un projet.

4. Vous êtes un des initiateurs du site sur lequel n’importe qui peut adhérer au Parti Socialiste afin de battre la droite en 2007. Expliquez-moi comment un ou une adolescent(e) de 15 ans va pouvoir participer aux élections présidentielles ? C’est bien l’âge minimal qu’il faut avoir pour adhérer au Parti si je me fie à ce qui est écrit sur le site ? Vous êtes à ce point en manque d’adhérents que vous les recrutez bébés ou presque ?

Vous soulevez un point très intéressant. A l’heure actuelle, les 15/18 ans n’ont aucun moyen de s’exprimer sur leur destin. Mais les manifestations lycéennes de l’an dernier et celles contre le CPE ces dernières semaines, ont montré que la jeunesse française est bien plus politisée et préoccupée par les questions concernant leur avenir que l’on ne leur accorde. En revanche, lors des élections présidentielles, ils n’ont pas leur mot à dire. Au parti socialiste, nous leur disons : "Nous avons confiance en votre jugement. Nous souhaitons écouter vos idées. Si vous adhérez avant le 31 mai 2006, vous pourrez participer au vote sur le projet socialiste et vous pourrez choisir le candidat qui défendra nos couleurs en 2007. Même si vous ne pourrez pas voter le jour des élections présidentielles, vous pouvez vous exprimer en amont et participer à un choix primordial pour 2007." Cette proposition que nous leur faisons est l’occasion pour eux de faire leurs premiers pas de citoyens et de prolonger les combats qu’ils ont menés récemment. 30 000 personnes ont adhéré en quelques semaines. C’est une chance pour notre parti, plus nous serons nombreux, plus celui-ci sera représentatif des idées des sympathisants de gauche en France.

5. Les collégiens, les lycéens et les étudiants sont dans la rue et pour les syndicats et les partis politiques, c’est une aubaine. Y aurait-il en France des choses auxquelles il est interdit de toucher sous peine de grandes colères ?

Cette idée galvaudée, très en vogue actuellement, que la France n’est pas réformable me révolte. Ceux qui brandissent à leur moindre faux-pas cette excuse, pour justifier leurs erreurs, devraient faire attention : ils jouent avec le feu et entretiennent les populistes de tout poil. Les Français ont soif de réformes, encore faut-il leur proposer des changements qui les séduisent. Passer en force, ne pas consulter les organisations syndicales, patronales et ceux qui sont concernés, cela n’a jamais été une bonne manière de gouverner. Les réformes importantes, structurelles, qu’attendent les Français nécessitent l’engagement et la participation de tous. Cela ne s’impose pas unilatéralement, il faut des concertations d’envergure.

6. Pensez-vous que tous les gens de droite sont des idiots sans cervelle et sans idée et que seules les personnes de gauche sont sensées ? Avez-vous un ami qui vote à droite ?

La caricature à l’extrême ne vous effraie pas. Est-il réellement besoin de dire que, bien sûr, la droite républicaine est pleine de gens de talents ? Ce qui différencie la droite et la gauche, ce ne sont pas des questions de personnes, une supposée intelligence qu’aurait les uns et pas les autres. Deux choix de sociétés et qui engagent notre avenir s’opposent. Le libéralisme défendu par l’UMP n’est pas une obligation économique. C’est une politique, un choix, que nous réfutons. L’économie de marché est un fait, et nous pensons que, dans ce cadre-là, l’Etat a un rôle important à jouer. Qu’en serait-il aujourd’hui des librairies indépendantes si nous n’avions pas légiféré en 1981 ? Ceci étant dit, j’ai bien sûr des amis qui votent à droite, mais qui sont heureux de voir aujourd’hui les librairies indépendantes et l’édition française survivre.

7. Entrer en politique, c’est comme entrer dans les ordres ? Peut-on vraiment mener de front une carrière politique et une vie de couple épanoui sentimentalement ?

Je ne suis pas sûr que la comparaison entre l’entrée en politique et dans les ordres soit la plus heureuse. La politique demande un engagement total, mais qui est avant tout un engagement citoyen, une volonté de défendre des idées, des valeurs dans lesquelles l’on croit. Pour moi, cela est quelque chose de viscéral. Si ma carrière ne m’avait pas mené à des postes à responsabilités, mon engagement se serait traduit autrement, mais j’aurais en permanence ressenti le besoin d’agir pour défendre ce en quoi je crois. Mon épouse connaît et partage mon besoin d’action, elle a donc toujours été à mes côtés dans ces combats. Avancer dans le même sens est le meilleur ciment pour un couple.

8. Personne n’est éternel. Heureusement ou malheureusement selon les points de vue. Qu’aimeriez-vous avoir comme épitaphe ?

Vous me pardonnerez de ne pas répondre à cette question, mes proches s’en chargeront.

9. Jack Lang, ce fut un réel plaisir que de vous titiller. Bien que les hommes politiques soient connus pour ne pas rendre la parole quand on la leur donne, je vous laisse le mot de la fin...

Je vous remercie pour vos questions sympathiquement décalées. Pour conclure, j’invite tout simplement ceux qui le désirent à venir poursuivre la discussion sur mon blog.

Le blog de Jack Lang

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