Interview : Da silva
Parler du disque de Da Silva « Décembre en Eté » est difficile voire impossible. Tout ceux qui ont essayé croupissent dans la fosse aux lions de la plume placide. Ce garçon lunaire à la voix canaille nous a offert un album inchroniquable car in-critiquable. Il n’est pas impensable de croire à la perfection grâce à cet Emmanuel Da Silva venu de nulle part. Il ne me restait plus qu’à le rencontrer pour confirmer mes soupçons : non seulement il est doué pour sortir 12 rayons de printemps dans un album automnal car cet opus sent le froid des ruptures amoureuses, mais c’est aussi un artiste sans complaisance... comme ses chansons. A voir d’urgence notamment au Grand Mix de Tourcoing le 10 Mars 2006.
Etiez-vous un grand enfant qui a du attendre 29 ans pour devenir adulte ?
Emmanuel Da Silva : « Je ne sais pas si je suis un adulte. J’ai beaucoup de mal avec les contingences de la vie. Ce qui me déplait dans le fait de grandir c’est la perte de l’insouciance. L’âge adulte pour toute la responsabilité et la conscience qu’il nécessite me fait peur. »
Paradoxalement être artiste, et malgré l’idée que l’on peut s’en faire, est loin d’être quelque chose d’insouciant ?
Emmanuel Da Silva : « Oui mais ça dépend pour quoi. Sur certains sujets je préfère rester insouciant. Mais c’est une autre forme que celle de l’enfance. »
Est-ce que les histoires d’amour c’est comme le métier de chanteur c’est à dire que tout passe toujours par des hauts et des bas de montagnes russes en fête foraine ?
Emmanuel Da Silva : « La musique c’est quelque chose de compliqué à faire. A vivre, ça l’est plus et d’en vivre encore plus. C’est un investissement énorme qui ne laisse pas beaucoup de place au reste. »
Vos chansons sont bien souvent à double sens, d’un côté la relation amoureuse qui touche chaque titre mais si l’on creuse on retrouve des thèmes sous-jacents qui jaillissent comme pour « Une Eclaircie » qui traite de politique ?
Emmanuel Da Silva : « J’aime passer par le prisme du couple pour m’exprimer. Le couple est la première des sociétés. Un homme - Une femme : tout débute là. Quand on est seul devant sa glace il ne peut pas nous arriver grand chose.... A moins de le décider. A partir du moment où l’on incorpore une deuxième personne cela se complique, parce qu’on ne maîtrise pas tout : heureusement et malheureusement aussi. En revanche je suis un citoyen, donc engagé bien évidemment. Des sujets comme l’intolérance ou le racisme ou la privation de liberté quelle qu’elle soit me pose un vrai problème. »
« La Chance » n’est-elle pas votre chanson la plus pertinente pour exprimer ce qui vous arrive ces derniers mois ?
Emmanuel Da Silva : « C’est surtout ce qui résume ma vie. Je voudrais bien tenter ma chance mais sortir de l’humanité quand même. Tenter ma chance ok mais sans oublier personne. »
Cela peut-il devenir un jeu dangereux ?
Emmanuel Da Silva : « A partir du moment où vous ne pensez pas qu’à vous c’est un jeu dangereux ! donc oui c’est un jeu très dangereux. »
Vos compositions pour « Décembre en Eté » semblent vous être arrivées comme une évidence, est ce que ce fut facile à l’écrire ?
Emmanuel Da Silva : « Je n’ai pas trop de problème à écrire car cela faisait si longtemps que j’avais des choses à dire, d’un seul coup on m’en a donné la possibilité. J’ai eu cette énergie avec moi tout du long. Je ne compose pas dans la douleur. J’ai besoin de m’immerger dans la musique, je me déconnecte de tout, même des choses très proches de moi je les oublie. »
Le côté guitare-voix sans fioriture a t’il mis longtemps à mûrir en vous ?
Emmanuel Da Silva : « Ca paraît simple comme ça d’arriver à cette chose de guitare-voix. On dit souvent que c’est le début de tout alors que je pense que c’est plutôt la fin de quelque chose. Arriver à dépouiller à ce point une chanson c’est très difficile. N’en garder que l’essentiel, et encore faut il déjà le trouver, c’est complexe. Quand on compose, on a plein de trucs dans la tête, il est nécessaire de tout oublier pour que le moins devienne le plus ! c’est à dire que moins il y a de fioriture plus cela devient efficace. Tous les instruments ont une importance fondamentale pour la vie de la chanson. A chaque fois ce sont des choix précieux pour l’équilibre du morceau. »
Finalement à l’écoute du disque vos origines ne vous ont elles pas rattrapé (le fado portugais) plus que vous ne le pensiez vous même ?
Emmanuel Da Silva : « La nostalgie, les atmosphères que l’on retrouve dans cette musique m’ont fortement marqué. Ce côté très dépouillé m’a, c’est sur, beaucoup influencé. »
La littérature a t’elle été un frein ou un moteur pour écrire vos propres compositions ?
Emmanuel Da Silva : « Ni l’un, ni l’autre. Je pense que cela me permet inconsciemment de trouver des choses. Quand j’écris je mélange tout ce qui se trouve à l’intérieur de ma vie. La lecture, la musique, le cinéma mais aussi la vie quotidienne à la terrasse d’un café. Je me sais très observateur de l’intérieur, que ce soit d’un livre ou dans un supermarché. »
Il semblerait également que La Bretagne vous ait aidé à trouver votre place artistique ?
Emmanuel Da Silva : « C’est une région avec un climat qui change beaucoup. Je suis très influencé lorsque je me lève le matin sur la hauteur du ciel et sa couleur. Je ressent ça, je le subi. Le climat de la Bretagne me donne des coups de pouce, me met un coup d’accélérateur. »
Comment fait on pour que Dominique Ledudal et Renaud Letang, qui vous ont aidé à produire et mixer ce disque, restent le plus proche possible de votre souffle naturel ?
Emmanuel Da Silva : « Ca ne se demande pas ! Je suis arrivé avec mes chansons en leur disant ce que je voulais et où je le voulais et rien de plus. Mon univers était totalement construit. Je ne suis pas un produit. Personne ne m’a dit de faire sonner l’album comme ça ou autrement. Je savais exactement où je voulais aller à la note près. »
Jusqu’au 08 mars vous n’avez pas de dates de concert. Vous préparez sûrement cette deuxième partie de tournée un peu plus sereinement vu que l’album marche fort ?
Emmanuel Da Silva : « C’est sur ! on sait que les salles vont être pleines ou quasi. C’est à ce moment qu’on va prendre conscience de l’importance de ce que nous avons fait. Le nombre de ventes de disque ne me dit rien ! Je suis ravi d’en vendre mais je ne me rend pas compte. Ce qui est important c’est de rencontrer les gens en public. »
Vous mettez donc la priorité sur la scène ?
Emmanuel Da Silva : « (il Réfléchit)... Vous savez au moment où je fais un disque il n’y a rien qui compte plus que ça au monde et lorsque je suis sur scène c’est pareil. »
C’est une façon de vivre très risquée ?
Emmanuel Da Silva : « Je le subis ! je le subis plus que je ne l’entretiens. Je ne peux pas faire autrement. »
En allant sur votre blog où vous notez vos impressions au jour le jour, vous parlez de la chance de vous retrouver avec votre guitare pour composer de nouvelles chansons, est ce devenu un luxe de pouvoir vous retrouver seul avec votre instrument ?
Emmanuel Da Silva : « Mon dieu que oui ! Là j’ai plein de trucs à gérer qui me tombent dessus. Quand je me retrouve et que je peux composer pendant un moment je suis vraiment content. Là, punaise, je vais avoir une semaine coupée du monde et j’en suis ravi. »
Le deuxième album, celui de la confirmation si l’on en croit les spécialistes, vous fait il peur ?
Emmanuel Da Silva : « Pas du tout ! Entre le moment où mon album a été terminé et sa sortie il s’est passé 7 mois. Quand j’ai terminé le studio il n’était pas dès le lendemain dans les bacs. Durant ces 7 mois je ne savais pas si le disque allait marcher ou pas. Je me suis alors dit que c’était le bon moment pour composer comme un malade. De toute façon s’il ne marchait pas je savais que je n’allais pas me remettre en question et que par bonheur s’il marchait tout s’enchaînerait vite. Vous savez je ne fais pas de la musique pour la célébrité, ni pour avoir du succès. Si j’en ai, du succès, tant mieux, si je peux le partager avec plein de monde ce sera encore mieux mais je fais de la musique, de la musique que je sais faire, car je ne conçois pas de faire autre chose. Je ne me pose pas la question de savoir si le deuxième va cartonner. Je fais ce qui me fait plaisir pour essayer d’en procurer aux autres. »
Rester honnête jusqu’au bout ?
Emmanuel Da Silva : « On ne se pose même pas la question. Je fais mes chansons et voilà la suite ne m’appartient pas. Quand je vais les présenter, peut être que les gens les trouveront moins bien, ce que je ne comprendrais pas par contre. Ce que je suis en train de composer aujourd’hui c’est mieux que ce que j’ai composé hier. »
Ce sera toujours sur la même base ?
Emmanuel Da Silva : « Je ne vais pas tout vous raconter ! (rire) Je pense que sur celui là je vais rajouter un peu de ukulélé, un peu de basse, de contrebasse, quelques violons, de la batterie... vous verrez bien. »
Aura t’on la chance d’entendre quelques inédits sur scène ?
Emmanuel Da Silva : « Oui bien sur ! j’en jouerais deux ou trois. »
Vous venez de l’auto production, quels sont les changements importants d’être signé dans une grande maison de disque ?
Emmanuel Da Silva : « C’est très simple : l’autoprod vous mourrez de faim alors qu’être signé chez Tôt ou Tard vous pouvez vivre correctement. Je veux dire par là que lorsque vous êtes en auto production vous ne pouvez jamais aller au bout de ce que vous voulez faire. Vous êtes toujours freiné par les moyens. Même si vous pouvez enregistrer chez vous sur un 4 pistes vous n’avez pas un super ingénieur du son pour mixer votre album, vous n’avez pas un super photographe qui mettra l’image adéquate correspondant à votre musique. C’est travailler par bout de ficelles, vous devez faire des compromis dus à vos économies. D’être signé dans une major vous ne faites pas les chansons mieux ou moins bien c’est juste que vous pouvez aller au bout de ce que vous voulez faire. »
Vous qui avez fait le job de représentant pour une major, comment auriez vous « vendu » Da Silva auprès des disquaires ?
Emmanuel Da Silva : « Je serais arrivé en magasin et je me serais contenté de mettre le disque dans la platine. »
Je crois que c’est la bonne solution !
Emmanuel Da Silva : « Sûrement mais c’est surtout car je ne savais pas faire autrement.(rire) »
Un disque doit se vendre tout seul.
Emmanuel Da Silva : « Je suis d’accord avec vous. Il suffit que les chansons soient bonnes ! »