Yasmina Khadra, Kamikaze littéraire ?

Yasmina Khadra, Kamikaze littéraire ?

Le dernier roman de Yasmina Khadra, "l’attentat", conte l’histoire d’un arabe israélien si bien intégré dans la bonne société israélienne de Tel-Aviv qu’il finit par oublier que les clameurs de la guerre ne sont pas si lointaines à se faire entendre. Mais tout bascule pour lui le jour où il apprend que sa femme, avec qui il croyait filer le parfait bonheur, s’est faite sauter au milieu d’un restaurant bondé de Tel-Aviv. Yasmina Khadra entreprend alors de raconter la quête effrénée de cet homme foudroyé en plein vol, et l’embarque, ainsi que le lecteur, pour un voyage vers les recoins les plus inquiétants de l’âme humaine, là où se décide le destin de kamikaze !

Khadra s’est mis en tête de parcourir toutes les voies de l’enfer ...
Yasmina Khadra, en vérité ex-officier de l’armée algérienne devenu écrivain sous pseudo pour échapper à la vindicte des islamistes qui ont juré sa mort, a deux visages tout comme il écrit deux types de romans. D’un côté, des polars bien écrits au scénario bien troussé, et de l’autre des portraits aussi saisissants qu’effrayants des passions meurtrières qui agitent le monde musulman. La vie d’un village d’Algérie sous la coupe d’un maquis islamiste dans « Les agneaux du Seigneur », le parcours infernal d’un jeune déshérité devenu émir du GIA dans « A quoi rêvent les loups », le destin funeste de deux femmes sous le régime aussi archaïque que barbare des talibans dans "Les hirondelles de Kaboul", Yasmina Khadra s’est mis en tête de parcourir toutes les voies de l’enfer auxquelles mènent l’intolérance, le fanatisme et la haine. Et dans le même temps, au de là du contexte de la crise de l’Islam, il aborde avec brio les sujets universels de l’identité, du poids des rêves et des désirs et de la tentation de la facilité.
Pour servir ses fins, Khadra a le génie d’une langue gorgée d’un lyrisme unique, lui aussi à visage double, un lyrisme de l’horreur. Khadra est passé maître dans l’art de rendre belle l’horreur, le méfait, la haine à coups d’images aussi fortes que séductrices.
« Orpheline de sa romance, ma maison évoque une demeure hantée - l’obscurité qui l’entoile a quelque chose de terrifiant.[...] Kim a omis de verrouiller la grille qui, [...], ferraille doucement dans le silence telle une complainte diabolique »
Yasmina khadra parvient même à rendre l’âme d’une ville en invoquant uniquement son humeur, son ambiance sans attarder sur un quelconque description réaliste. Ainsi en est il de Jerusalem :

« Tour à tour Olympe et Ghetto, égérie et concubine, temple et arène, elle souffre de ne pouvoir inspirer les poètes sans que les passions dégénèrent, et, la mort dans l’âme, s’écaille au gré des humeurs comme s’émiettent ses prières dans le blasphème des canons... »

Cependant Khadra n’enivre pas le lecteur que de poésie. Il sait aussi utiliser un langage plus cru aux moments les plus forts pour faire jaillir le propos avec plus de force qu’aucun romancier trash français ne sait le faire :

« Quelle vérité tu veux connaître [...] ? [...]Celle du bougnoule de service par excellence que l’on honore à tout bout de champ et que l’on convie à des réceptions huppées pour montrer aux gens combien on est tolérant et attentionné ? Celle de quelqu’un qui, en tournant sa veste, croit retourner sa peau et réussir la plus parfaite des mues ? »

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Le lecteur ne peut qu’être saisi par l’universalité du propos, et la vérité est que « L’attentat » est bon roman qui sait éviter les chausses trappes propres à un sujet aussi complexe que le conflit israëlo-palestinien. Aucun camp n’est mieux traité que l’autre, seul l’être humain est préféré, et les clichés sont habilement esquivés pour que seul subsiste un portrait de la barbarie paralant à tous :

« Et partout [...] le sentiment de revivre des horreurs que l’on croyait abolies avec, en prime, la quasi-certitude que les vieux démons sont devenus tellement attachants qu’aucun possédé ne voudrait s’en défaire »
Le seul bémol à cette éloge est dans le travers de Yasmina Khadra à jouer de surenchère en composant parfois, mais rarement, des mille-feuilles indigestes de métaphores et de comparaisons. Dans « l’écrivain », magnifique roman autobiographique, où il révèle sa véritable identité, il avouait que certains durant ses études lui avaient reproché d’en faire trop dans ses textes, et dans « L’attentat », au début de l’histoire, ce travers paraît quand le narrateur, se trouvant paralysé par le deuil, nous assène un déluge de complaintes imagées qui peut sembler lourd sur quelques pages.

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le mur de sécurité en construction

Mais ne mentons pas sur la qualité de l’ensemble, c’est le très modeste prix à payer pour suivre la plume de Khadra virevolter avec maestria sur le reste d’un roman aussi beau et juste que sombre. La fin en elle-même est surprenante...
Au final, une bonne surprise de la rentrée littéraire. Comme quoi, il y a d’autres possibilités de lecture... L’attentat de Yasmina Khadra par exemple.

Laurence de Sainte Lumière,

Le 5 Septembre 2005.