"N’est pas Napoléon qui veut " : les fausses notes de Christian Clavier

Napoléon, pour moi c’est Serge Lama. Je veux dire physiquement, et vocalement s’il avait poussé la chansonnette à Joséphine sa nymphomane préférée. Depuis des mois à coups de bandes-annonces savamment réussies, France 2, nous informe que c’est l’ex-pensionnaire du Splendid et célèbre "Jacquouille la fripouille" qui se collera le bicorne sur la grosse tête. Un Clavier mal peigné avec des trous dans la culotte de Général qui se retrouve là pour rendre service à son copain Gégé, célèbre producteur de vin français et de films pas terribles. Admettons dans un premier temps et regardons cela de plus près puisqu’il n’est pas bon d’avoir des à priori pour critiquer l’art et que le mélange de genre donne parfois des résultats géniaux.

Il y a des types qui croient ressembler à Napoléon parce que leur femme s’appelle Joséphine. "
Alphonse Allais

A grand renfort de vedettes et avec un budget confortable (plus de 40 millions d’euros pour quatre épisodes aux quatre coins du monde) la chaîne publique nous a même promis un spectacle de qualité et un succès programmé (Delon a bien réussi à se faire passer pour un flic marseillais de gauche sur TF1). Force est de constater que ce divertissement pour anglophone - on eût dit un mauvais téléfilm québécois tourné à la va-vite - a le don remarquable de rendre translucide les euros dépensés.

A l’image, rien de bien folichon donc, des trucages qui font mal à l’œil, style « effet œil de bœuf », un grain de pellicule qui ressemble parfois à de la vidéo, un artificiel qui n’a rien d’un effet théâtral voulu. Les scènes de bataille manquent de figurants et le doublage rend les dialogues irréalistes (ou surréalistes) au possible. Au début du premier épisode on remarque dans une jolie pièce la fille insupportable et journaliste vulgaire de la série « Cordier Juge et flic » sur TF1. On salue aussi, avant sa mort tragique sur le champ de bataille, Guillaume Depardieu qui vient faire coucou à l’invitation de son producteur de père et rembourser quelques faux frais. Bref ça sent la guest star de circonstance et le copinage.

Revenons-en à Christian Clavier ce génie bronzé de l’humour et de l’auto dérision, ce Michel Drucker de la gaudriole. Son plus grand problème dans le téléfilm c’est qu’il reste Bonaparte et échoue lamentablement à son examen de Napoléon. Trop petit, trop fade, trop « pas à sa place » sous-jouant car on lui avait dit de pas faire « Visiteur ». Non ! Clavier n’a pas l’envergure d’un grand homme de l’histoire. Il aurait tout juste pu jouer un petit caporal de passage (et encore). Fallait faire jouer Max Gallo lui-même ou reprendre Pierre Mondy ou encore Lama (mais l’empêcher de fredonner). Tiens une idée, Michel Robbe, celui qui présentait « Le juste prix » il y a Quinze ans ou encore Francis Huster (ndrl : le beau Francis va jouer le même rôle pour TF1 sisi je vous jure Madame l’impératrice !) ! Quelle erreur de casting ! Quel affectif ce Depardieu ! On ne propose pas un rôle de ce calibre à son copain sous prétexte de l’amitié, c’est la règle absolue. Clavier est aussi crédible dans Napoléon que si on y avait mis Gérard Jugnot sur un cheval blanc. Au royaume du ton juste, Christian est un fou du roi patéthique.

Selon la production « Le bicorne, la redingote, le Mémorial de Sainte-Hélène et la légende avaient fini par nous dérober la part d’humanité de Napoléon. Christian Clavier a pris à bras le corps le destin du " monstre sublime " et soufflé sur des braises que deux siècles n’ont pu éteindre. » On est secoué. C’est un peu comme si on nous disait que, à y bien réfléchir, Clavier réinvente l’histoire avec son maillot de bain trop court et ses poils qui ressortent, avec son air décidé quand il regarde son fidèle second Murat qui malheureusement n’est pas Jean-Louis ou Bernard. Clavier aurait pu jouer un Musset vieillissant avec ses grosses pattes poilues sur les tempes et ses chemises en jabot mais pas plus.
Isabella Rossellini est l’impératrice Joséphine, elle offre son nom et le prestige de sa famille au film de télé, un bon argument pour la carrière internationale de la chose sans doute, Anouk Aimée (sans lunettes noires) est presque trop belle et jeune pour jouer la maman de Clavier moi j’aurais choisi plutôt Marthe Villalonga même si en ce moment elle est la bonne à tout faire du docteur Sylvestre et qu’elle doit pas être disponible. Y’a que John Malkovich qui joue Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord qui décroche la médaille du casting adéquate bien que massacré par le doublage lui aussi. Depardieu je ne l’ai pas vu, je n’ai sans doute pas dû faire attention.
A la limite c’est le générique qui dure au moins trois minutes qui est la partie de l’ouvrage filmé la plus inattaquable, jouant sur les images fixes et les mouvements amples qui nous rappellent les meilleurs tableaux de Friedrich. Une splendeur, bravo les graphistes.

Conclusion, rien de bien séduisant dans ce film qu’on nous présentait comme l’événement de la rentrée cathodique. Un vague sentiment de gâchis et d’ennui. Une sorte de survol en ULM de notre passé historique. C’est fou ce que ça coûte cher le carburant pour ces petits engins qui pétaradent dans le ciel bleu de notre redevance télé.