Interview : Maurice Benayoun

Interview : Maurice Benayoun

Maurice Benayoun est un type épatant, un artiste multiface qui a le don de donner vie aux réalités artificielles et virtuelles, qui sait trasnformer ses idées en des oeuvres singulières et poétiques. Maurice Benayoun est un des artistes contemporains les plus inspirés de sa génération et mérite d’être connu et fêté par un public toujours plus large. Rencontre avec celui qui vous entraînera vers des cosmogonies troublantes et belles, où l’émotion n’est jamais bien loin.

1. Bonjour Maurice Benayoun, merci de répondre à nos questions pour le Mague. Lorsqu’on regarde votre biographie et qu’on fait le détail de vox expositions nationales et internationales, on est impressionné par le succès que remportent vos créations multimédia. Dans votre milieu vous êtes une valeur sûre. Comment se fait-il que vous ayez un déficit d’image et que vous soyez peu connu du grand public et assez discret dans les média français ?

Une des caractéristiques de mon travail c’est qu’il n’est pas fondé sur la starification de l’auteur. Question image j’ai tout faux, insituable (série TV en 3D, installations en musées, pas de galeriste, design, innovation technologique, expositions scientifiques, projets architecturaux et bientôt un concert), pionnier (c’est ceux que l’on trouve sur la route de l’ouest avec une flèche dans le dos), je fais des projets ambitieux (en France c’est mal vu et on dit vite qu’un projet est pharaonique s’il ne rentre pas dans une galerie.

C’est connu : la montagne est prétentieuse et le grand canyon arrogant) et j’essaie d’avoir une production avec une certaine épaisseur ("vous pouvez résumer votre projet en une phrase pour nos lecteurs ?"). Je plaisante en fait j’ai beaucoup de presse mais c’est par vague. Il est clair que j’ai un impact plus important à l’étranger où il est parfois plus aisé de monter des projets d’envergure.

Mais disons clairement que je consacre plus d’énergie à poursuivre et renouveler mon travail avec le maximum de cohérence qu’à mon autopromotion. Ce qui peut paraître en contradiction avec l’époque où chacun voudrait jouir de son quart d’heure de célébrité avant d’avoir produit quoi que soit sinon une image non déficitaire.

2. Comment est arrivé l’Art dans votre vie ?

Adolescent j’ai pressenti qu’il existait un espace de liberté où on avait pas à choisir son carcan. Quand j’ai commencé mes études d’art il était mal vu de se présenter comme artiste. On "produisait" des "pièces" pour se décomplexer de ne pas travailler en usine. Je ne crois toujours pas que l’on "crée", mais je crois que l’artiste est celui qui fait profession d’une attitude qui devrait guider l’ensemble de nos actes. Et j’ai la chance de pouvoir réaliser quotidiennement une partie certes infime mais exaltante de mes désirs.

3. Comment définir le style créatif "Benayoun", pourrait-on dire qu’il s’agit souvent de la matérialisation et de la mise en scène de fantasmes design chargés d’émotions et d’une sorte de sensibilité géopolitique.. universelle ?

Il y a quelques mots clef qui flottent autour des mes travaux :

SITUATIONS : mettre le visiteur en situation et le laisser libre d’être lui-même. Faire en sorte que le sens naisse de la confrontation qui en résulte. le Tunnel sous l’Atlantique, World Skin : un safari photo au pays de la guerre, Art Impact...

FUSION CRITIQUE : travailler l’ensemble des champs du sensible, de notre environnement quotidien, l’altérer de manière à en révéler les errances. Comment la fiction envahit le monde physique pour nous le donner à lire : Watch Out !

VIRTUEL : travailler le devenir comme matériau. L’œuvre n’est pas le résultat stabilisé mais le processus et les avatars infiniment renouvelés de son devenir.
C’est souvent un engagement du corps où le ludique est parfois un passage obligé et l’image jamais un accomplissement. Des œuvres à vivre.

4. En quoi la réalité virtuelle est un terrain d’expérimentation qui vous intéresse tant ?

Ce n’est pas tant la réalité virtuelle que la virtualité qui m’intéresse. Le fait qu’une production humaine puisse intégrer une propriété de l’espace physique qui jusque là n’était prise en compte que dans le spectacle vivant : la possibilité d’avoir un devenir, de prendre en compte la présence du visiteur. Notre présence modifie le monde, elle peut maintenant altérer la représentation, le spectacle, l’image, la musique... L’auteur se trouve donc en situation de produire un monde, écrit, qui réagit à notre présence en se donnant à vivre et à interpréter. C’est une perspective tout a fait exaltante qui modifie radicalement notre façon de penser le travail d’écriture.

Je travaille de plus en plus cette propriété en dehors de l’environnement illusionniste de la réalité virtuelle jusque dans la matérialité qui en consacre la disparition.

5. Il y a des mots récurrents dans votre oeuvre qui forgent toute votre symbolique : Cosmos, cosmogonie, émotion... est-ce qu’on peut dire que votre travail a un grand sens mystique ?

En fait il s’agit plus pour moi de remettre l’individu à son échelle dans l’univers, mais aussi au centre d’un système qu’il s’est construit pour accepter le monde à vivre. Ce qui n’est pas une mince affaire. Chaque nouveau projet prend en compte, à sa manière, non pas une dimension mystique mais probablement une interrogation politique et existentielle, qui questionne notre place dans la cité et dans l’univers, sans toujours se prendre complètement au sérieux (Les Grandes Questions : Dieu est-il plat ? (94) Le Diable est-il courbe ? (95) Et Moi dans tout ça ? (96).

6. Que faites-vous au sein du CITU, (Création Interactive Transdisciplinaire Universitaire) ?

Le CITU est un projet improbable, une forme ouverte qui porte pleinement ses fruits. Une fédération de laboratoires universitaires (Paris1, Paris8), écoles d’art, centres de recherche, associations) qui essaie hors les murs de pousser la recherche comme une forme de création et la création comme une forme de recherche. J’ai co-fondé cette fédération avec Jean-Pierre Balpe après différentes tentatives pour montrer qu’il est possible en France d’avoir une approche exigeante pour des projets ambitieux et que nous ne sommes pas obligés de s’expatrier pour faire un travail de niveau international. Mon rôle dans la structure est actuellement sous l’étiquette discutable de "directeur artistique" d’aider à inventer de nouvelles formes de production, de création et de recherche en collaboration avec quelques uns des meilleurs acteurs de la création et de la recherche actuelle, sans exclusive.

7. En fait plus encore qu’un artiste génial et touche-à tout vous êtes un penseur et un metteur en scène des idées et des espaces non ?

 ?!? (cette question est un piège à laquelle je ne répondrai qu’en présence de mon avocat)
Je ne peux cependant pas résister à l’idée de mise en scène d’idées. Je crois en effet que le travail de l’artiste est de trouver d’autre forme que les mots pour exprimer sa conception ou sa compréhension du monde. Cela me rends étranger aux formalismes et aux gadgets. J’aimerais parvenir progressivement à agir plus directement sur mon environnement en travaillant sa dimension symbolique.

8. Je l’avoue, je suis particulièrement sensible à un de vos derniers projet qui s’appelle "Emotional packaging" , pouvez-vous en dire plus à nos lecteurs ?

Il s’agit en fait d’une série d’événements, d’actions et créations intitulée : La Mécanique des émotions
Tout commence par la cartographie des émotions de la planète (World Emotional Mapping) que je réalise par analyse du web, le système nerveux mondial. Des milliers de requêtes, sur les moteurs de recherche, permettent de déterminer comment les mots caractérisant une émotion donnée sont associés aux lieux (villes, pays régions...) Le nombre de hits permet de construire une carte dynamique qui peut être actualisée en temps réel.

Lors de Norapolis, dans l’église Saint Pierre aux Nonnains à Metz c’est la carte de la peur qui était présentée ainsi que 7 "Frozen Feelings", instantanés des émotions de la planète convertis en sculptures. Ces émotions mortes, figées (terrified, anxious, stress, alone, fear...) sculptées par une fraiseuse numérique sur la base des données de l’Internet. Elles étaient présentées comme des reliques, les restes sacralisés des émotions. Étape suivante, à Shanghai, du 1er au 8 mai dans la Galerie Bund 18 convertie en boutique de luxe, c’est l’Emotional Market (le marché des émotions) 12 Frozen Feelings présentés comme des objets de luxe en dessous de 12 projections vidéo des cartes correspondantes. Au mur sur écrans de diodes défilait l’ E-Stock (l’Emotional Stock : le stock market des émotions de la planète) en temps réel le cours de trois émotions : "ecstatic", "alone", "insecure"). Les émotions dynamiques passent ainsi du temple au marchand et l’art reprend ses droits dans le traffic des émotions en matérialisant la leur dynamique. Ce sont là les premières étapes de cette série, la suivante sera "Emotional Traffic" le concert des émotions, en ouverture du festival Ars Electronica de Linz, en Autriche, le premier septembre . Avec Jean-Baptiste Barrière nous jouerons les émotions de la planète comme des instruments dans une performance éminemment manipulatoire.
Les étapes suivantes seront dévoilées dans le futur proche.

9. Parmi la liste pléthorique de vos créations, quelle vous semble être la plus pertinente, celle qui pourrait rester dans la mémoire collective ?

Difficile à dire. Probablement celles qui ont trouvées la forme la plus forte pour le concept le plus pertinent. Si je me fie aux réactions ce serait peut être World Skin, le Safari photo au pays de la guerre (Grand Prix Ars Electronica 1998) toujours avec Jean Baptiste Barrière ou Le Tunnel sous l’Atlantique (entre le centre Pompidou et le Musée d’Art contemporain de Montréal 1995) pour sa dimension prémonitoire.

Pour moi, c’est toujours le projet en cours et je crois beaucoup à la dimension symbolique de la Mecanique des émotions et les différents projets qui en découlent.

10. Par quoi désirez-vous terminer cette interview cher Maurice Benayoun ?

Par un silence..................


Maurice Benayoun sur le net :

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